Madame Butterfly ouvre la saison de l’Opéra National de Bordeaux
Avec la première proposition lyrique de son nouveau directeur, Emmanuel Hondré, l’Opéra de Bordeaux se devait d’annoncer la couleur de sa programmation : une démonstration qui se veut beaucoup plus politique que dramatique. Aussi le choix de Madame Butterfly, parangon du pathétique opératique, n’était pas le plus adapté, malgré quelques aspérités réellement enthousiasmantes.
L’indispensable opéra de Puccini, écrit au début du XXe siècle, inspiré de l’histoire de John L. Long, relate, sur un livret de Luigi Illica et de Giuseppe Giacosa, l’histoire de Cio-Cio-San (Madame Papillon ou Butterfly en japonais dans le texte). Jeune fille d’une famille désargentée, elle s’éprend, de manière non réciproque, de Pinkerton, un officier de marine américain en escale à Nagasaki. Celui-ci ayant signé un bail emphytéotique pour une maison et, sous les mêmes conditions, son mariage avec la naïve autochtone, n’a cure de la jeune fille et n’attend que son retour aux États-Unis pour trouver une femme de son pays et de son rang. Après une longue, trop longue attente, Pinkerton revient sur les lieux de son idylle simulée et découvre qu’il est père. Évoquant, auprès de son épouse déchue, le souhait de reprendre, son fils avec sa nouvelle femme, il pousse Madame Butterfly, qui a renié sa religion et sa culture, au suicide. Lacrymal par excellence, Madame Butterfly est un opéra dont la puissance psychologique est indéniable.
Une mise en scène politique…
Dans une période où les histoires de passé sont jugées avec les yeux du présent, il n’est presque pas surprenant, dans cette mise en scène, qui se veut féministe, que le jigai (suicide rituel pratiqué par les femmes) ne soit éludé et que le geste létal ne soit remplacé par le jet à terre d’un drapeau américain. Le final de la représentation conforte donc dans l’impression globalement très politisée de la mise en scène du Japonais Yoshi Oida. En effet, celui-ci, très marqué par l’occupation américaine post Deuxième guerre mondiale, qu’il a vécue, insiste de manière intéressante, mais parfois trop pesante au détriment de la dramaturgie de l’œuvre, sur l’influence néfaste que les Américains ont pu avoir sur l’Empire du Soleil Levant.
… qui diminue la dramaturgie
Ainsi, Pinkerton, que l’on a déjà pu découvrir dans d’autres production soit charismatique, soit, au contraire, parfaitement transparent, semble ici tout droit sorti d’un meeting trumpiste lors des élections de midterms américaines, un costume que l’italien Ricardo Massi endosse à merveille, peut-être même mieux que sa partition, malgré sa parfaite diction. Quant à Madame Butterfly, la Sud-coréeenne Karah Son, une habituée du rôle, se situe souvent à la frontière entre puissance et passage en force. Il faut dire que le chef, Paul Daniel, impose à son orchestre une puissance quasi permanente, étouffant trop souvent les voix, et mettant de côté toutes formes de nuances pour permettre à la dramaturgie de réellement s’installer.
… mais avec de belles découvertes
Si la charge dramatique n’est pas au rendez-vous, l’humanité des deux personnages secondaires est parfaitement incarnée par André Heyboer, un Sharpless très juste aussi bien dans l’interprétation que dans l’intention et particulièrement grâce au rôle de la servante Suzuki, interprétée avec maestria par la Française, Virginie Verrez, qui réussit à donner au deuxième acte toute son épaisseur psychologique.
D’autre part le décor, certes austère, présente des éléments intéressants qui servent le livret en mettant en avant le jeu de dupe que Pinkerton impose dès le départ. Ainsi la grande structure latérale en échafaudage de chantier et la tôle ondulée qui sert de fond de décor, illustrent à merveille la dimension éphémère et légère de l’intérêt de Pinkerton pour son épouse d’infortune. Les jeux de paravents, mobiles puis déconstruits dans le deuxième acte sont également de très beaux symboles de la trace du passage américain sur les traditions nippones.
Si cette première production n’est pas sans défaut, elle séduit cependant un public bordelais qui renoue avec la salle rénovée du Grand Théâtre avec l’un des opéras les plus joués au monde.
Madame Butterfly, mise en scène Yoshi Oida. Opéra National de Bordeaux. Jusqu’au 21 novembre 2022
Visuels : © Eric Bouloumié