Classique
Innsbruck sous le signe de Farinelli

Innsbruck sous le signe de Farinelli

12 August 2019 | PAR Gilles Charlassier

Comptant parmi les rendez-vous majeurs consacrés à la musique baroque, le Festival d’Innsbruck célèbre Farinelli pour son édition 2019, avec en point d’orgue, Merope, un opéra du frère du célèbre castrat, Riccardo Broschi, sous la houlette d’Alessandro De Marchi.

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Grâce au film de Gérard Corbiau, la figure de Farinelli a franchi les portes des bibliothèques et conquis un large public. Pour autant si, dans la fiction, son frère, Riccardo Broschi n’a pas toujours le meilleur rôle, ce dernier a fait une carrière de compositeur que l’on ne saurait résumer à quelques mesures entendues dans le film. C’est à un festival comme Innsbruck, creuset de redécouvertes de l’ère baroque, que revient la charge d’aller au-delà du répertoire établi et de ressusciter des ouvrages oubliés. Ainsi en est-il de Merope, opera seria en trois actes de Broschi, qu’Alessandro De Marchi, directeur du festival et chef d’orchestre, défend au Tiroler Landestheather.

Dans les cartons-pâtes et les armures fanfreluchées de Stephan Friedrich, la production confiée à Sigrid T’Hooft prend le parti de jouer avec les stéréotypes et pasticher une reconstitution d’époque qui rappellerait quelques souvenirs cinéphiles. Peu mobiles, et rehaussés par les lumières élégantes de Tommy Geving, les décors ne s’appuient pas sur d’extravagantes ressources de machineries, et servent d’abord d’écrin aux épanchements virtuoses des personnages. Non content de donner l’intégralité d’une intrigue mêlant force complots amoureux et politiques, selon le goût du temps, on a choisi de rajouter, à la fin de chacun des actes, une séquence de ballet, en puisant dans l’oeuvre de Leclair et de Rasetti. Cela a l’avantage de donner une meilleure tribune au travail de chorégraphe de la metteur en scène, avec sa compagnie Corpo Barocco. Si les actes impairs s’appuient sur les codes de la danse baroque pour offrir des tableaux allégoriques et pastoraux agréables, relativement calibrés, la pantomime comique du deuxième acte, avec bataille de saucisses et autres joyeusetés charcutières, cède passablement au bavardage, sur une partition au relief limité.

Dans le rôle-titre, Anna Bonitatibus affirme un engagement dramatique évident, où la palette vocale supporte l’évolution psychologique du personnage. En Etipide, son fils, à l’allure qui imite le Farinelli du grand écran, David Hansen séduit par la ligne lyrique d’un contre-ténor à l’émission noble et souple, dans un équilibre entre douceur et héroïsme. Les deux autres voix aiguës masculines privilégient le caractère, entre le vindicatif Anassandro de Filippo Mineccia et les interventions de Hagen Matzeit en Licisco. Mezzo aux ressources parentes du contralto, Vivica Genaux assume les tourments d’un Trasimede volontiers belliqueux. Arianna Venditelli ne manque pas de sensibilité en Argia, quand le solide Carlo Allemano supplée, dans la fosse, l’indisposition qui réduit Jeffrey Francis, le tyran Polifonte, à la figuration. A la tête de l’Innsbrucker Festbwochenorchester, Alessandro De Marchi restitue les couleurs et les saveurs d’une partition un peu prolixe ménageant des moments inspirés – une expérience de festival.

Le lendemain, après un concert autour du madrigal par le trio de l’Asterion Ensemble dans la Chapelle Saint-Nicolas du Château d’Ambras, sur les hauteurs d’Innsbruck, et un programme de cantates par le jeune Ensemble Arava dans la salle de l’Empereur Leopold à la Faculté de Théologie, pendant l’après-midi, Valer Sabadus fait revivre le répertoire de Farinelli dans la Salle des Géants de la Hofburg. Entrelacée de pages instrumentales, du concerto à la chaconne en passant par la sinfonia, la soirée remet certes à l’honneur des airs méconnus de Caldara ou Predieri, mais n’oublie pas les numéros obligés. Le tempo du grand lamento d’Ariodante, « Scherza infida », ne s’alanguit pas, et le contre-ténor n’hésite pas à moduler une introspection désespérée, en particulier dans une cadence qui serait d’un raffinement sans réserve si les intentions n’étaient pas un peu trop foisonnantes. De Haendel également, la vaillance volubile de Rinaldo dans « Venti, turbini », et les accents de piété filiale de Sesto, « L’angue offeso », dans Giulio Cesare, confirment une musicalité extravertie. L’élégiaque « Alte Giove », du Polifemo de Porpora, ne démentira pas les qualités expressives de l’interprète, quand, du même ouvrage, « Senti il fato » referme le programme sur un héroïsme haut en couleurs. En bis, les volutes de « Vedro il mio diletto » de Vivaldi suggéreraient quelque concurrence implicite avec un certain Orlinski. Hier les castrats, aujourd’hui les contre-ténors : les rivalités de la scène lyrique ne tariront pas le plaisir des amateurs.

Gilles Charlassier

Festival d’Innsbruck, Merope, mise en scène : Sigrid T’Hooft, août 2019

©Hasenteufel

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