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Crossover baroque à Innsbruck

Crossover baroque à Innsbruck

31 August 2020 | PAR Gilles Charlassier

Creuset de redécouvertes d’ouvrages rares depuis plus de quarante ans, le festival d’Innsbruck n’hésite pas à dépasser les clivages de genre, à l’exemple du programme proposé par Vincenzo Capezzuto et Claudio Borgianni, avec leur ensemble Soqquadro Italiano, « Who’s afraid of Baroque ? », qui, en mêlant le baroque avec l’improvisation et le jazz, explore des affinités inattendues.

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Nombreux sont ceux qui cherchent à dépasser les clivages entre les genres et les répertoires, souvent pour aller chercher un public nouveau, quitte à sacrifier parfois l’exigence artistique. La proposition défendue par Vincenzo Capezzuto et Claudio Borgianni, avec leurs trois comparses de l’ensemble qu’ils ont fondés, Soqquadro Italiano, rapproche intelligemment baroque et jazz dans l’effectif – théorbe, guitare baroque, contrebasse et percussions – comme dans la pratique de l’improvisation, potentialité commune aux deux formes d’écritures, sur une basse, dite continue aux dix-septième et dix-huitième siècles – Vincenzo Capezzuto a d’ailleurs travaillé avec Christine Pluhar, qui s’est fait connaître aussi par ce travail d’expérimentations au-delà des barrières stylistiques. Parodiant le titre d’un roman de VirginiaWoolf, « Who’s afraid of Baroque » livre un parcours musical continu où les numéros contrastent en une habile anastomose aussi bien harmonique que rythmique, avec un sens de la scénographie empêché par le plâtre de Vincenzo Capezzuto, également danseur, qui ne peut exécuter les numéros chorégraphiques prévus pour certaines pièces, réduit alors à sa seule voix, parfois plus proche de la déclamation chantée que la pure technique lyrique.

Le voyage sonore s’ouvre sur un air de Stradella, Si salvi chi può, avant que la trame mélodique et rythmique ne se métamorphose en un solo de contrebasse improvisé par Marco Forti. L’invention à partir d’un matériau ancien se retrouve dans la création instrumentale de Claudio Borgianni, No words, sur un madrigal d’Alessandro Piccinini, avant d’enchaîner sur La bella più bella de Rossi. La plume du concepteur et directeur artistique du programme, Claudio Borgianni, investit La vaiasseide de Cortese, ainsi que deux autres pièces du dix-septième siècle, A la brutta scartellata de Falconieri et Sgruttendio de Scafato et Scuntenti cori miu de Mazzocchi et Benfare, après un chant traditionnel hérité du seizième siècle, Vurria ca fossi’io ciaola. Les couleurs dialectales et le métissage des écritures sont affirmées avec gourmandise par la clarté du gosier se délectant d’une pulsation qui prolonge plutôt qu’elle ne trahit les saveurs antiques.

Le palais est justement sollicité dans la recette du Bianco mangiare alla spagnola de Stefani, et si les mots peuvent parfois échapper, les papilles sont émoustillées par l’appétit que met Vincenzo Capezzuto à décliner la recette. Un Caprice de chaconne de Corbetta et Speranze lusinghiere de Micheletti, ainsi qu’un page anonyme, Occhi belli, complètent cette séquence dix-septièmiste où l’idiome baroque est défendu avec un sens de l’expressivité plus sensible à l’esprit qu’à la lettre des pratiques usuellement qualifiées d’historiquement informées. L’adaptation par Soqqadro Italiano de Bischizzo a bella ballerina de Murcia et Bocchini est l’une des premières que l’ensemble a inscrites à son répertoire, en 2011, tandis que le solo de percussion de Gabriele Miracle séduit par la liberté de son improvisation, qui ne contredit cependant jamais la cohérence d’un panorama musical qui s’achève sur la Canzone del Guarracino con di Meneghino, dans lequel Vincenzo Capezzuto minaude de manière irrésistible. Une conclusion exubérante, et sans faute de goût, à une exploration des chemins de traverses qui, plus qu’une main tendue à des oreilles novices en musique ancienne, a le mérite d’approfondir les potentialités contemporaines du baroque, pour le plus grand plaisir des amateurs.

Gilles Charlassier

Innsbrucker Festwochen der alten Musik, Who’s afraid of Baroque, 29 août 2020

©Innsbrucker Festwochen/Lercher

 

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