
Eugène Onéguine terne et fade au Théâtre des Champs-Elysées
La nouvelle production d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski dans la mise en scène de Stéphane Braunschweig, au Théâtre des Champs-Élysées, ne réussit pas à donner l’élan et l’intensité intérieure attendus à des personnages hautement tourmentés.
En composant Eugène Onéguine, Tchaïkovski décrit merveilleusement des sentiments humains. Il creuse notamment le paradoxe intérieur qui mène au déchirement, dont Tatiana et Onéguine sont les deux exemples éloquents. En conséquence, avec une action peu agitée, l’œuvre est essentiellement psychologique et sa mise en scène s’avère être un élément clé pour maintenir l’attention du spectateur. Or, ajouter une couche de statisme sur une pièce déjà statique, c’est amener irrémédiablement le spectateur dans le vide. Ici, les chaises trop bien rangées, d’abord dans un champ (avec un gazon en plastique pas très joli), puis dans un intérieur bourgeois et dans une salle de jeu, donnent une impression prodigieusement bancale par rapport aux tourments des personnages.
Probablement pour une cohérence scénique, le cadre ne change pas tout au long des trois actes (sauf le champ du début), mais l’immobilisme prend davantage le dessus. Les beaux costumes de la fin du XIXe siècle dans les deux premiers actes cèdent, au dernier acte, à ceux de nos jours, tout en restant, certes, toujours beaux. Mais l’écart de temps suggéré par ces costumes est trop important ; cela intrigue et complète le sentiment d’inconfort. Visuellement, en dépit d’une certaine beauté esthétique, cela s’avère donc ennuyeux. Le plus laid, c’est la chambre de Tatiana (en fait, une chambre d’enfant en raison de la petite taille des meubles) qui se soulève au milieu de la scène. Est-ce l’inconscient de la jeune femme qui surgit à la surface ? Ou les sentiments qu’elle doit finalement refouler qu’on veut montrer ? Quoi qu’il en soit, les deux poteaux qui soutiennent le toit font ici aussi franchement cheep et cela n’aide pas à vivre la souffrance romantique de Tatiana…
Pour la musique, l’Orchestre national de France donne certes le meilleur de lui-même avec des cordes unies et sensuelles, des harmonies claires et précises aux sonorités savoureuses. Mais la cheffe Karina Canellakis accorde plus d’importance aux aspects symphoniques, et chaque détail est sculpté beaucoup trop minutieusement, entrainant indéniablement une perte de fluidité.
Restent les voix. La distribution est, elle aussi, assez bancale, ne donnant pas non plus satisfaction… D’une part, Jean-François Borras propose un Lenski touchant et musical et Jean-François Bou, très investi dans le rôle d’Onéguine, déploie son talent pour exprimer le cynisme et l’abîme dans lequel il tombe. Face à ce duo masculin, Gelena Gaskarova (qui remplace Vanina Santoni initialement prévue) pour Tatiana et Alisa Kolosova pour Olga ne parviennent pas à être en accord avec leurs personnages même si le timbre chaud bien projeté de cette dernière offre une belle musicalité. Jean Teitgen incarne un Prince Grémine tendre et son chant tout en finesse est à l’image de son élégance. Mireille Delunsch (Madame Larina) et Delphine Haidan (Philippievna) apportent des couleurs à cette production fade tout comme Marcel Beechman (Monsieur Triquet) et Yuri Kissin (Zaretski).
Le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux (direction Salvatore Caputo) offre une belle prestation en soi, mais finalement, elle aussi, bancale avec l’orchestre et l’ensemble…
Cette production semble elle-même un symbole des deux amants Tatiana et Onéguine : ils ne font que se croiser sans pouvoir s’unir.
photos © Vincent Pontet