Une après-midi danse à la Belle Scène Saint-Denis
Vous le savez, le Théâtre Louis Aragon de Tremblay prend ses quartiers festivaliers à la Parenthèse. Cette programmation se fait en collaboration avec le réseau Danse Dense qui accompagne l’émergence chorégraphique. Pendant 4 jours, du 13 au 17 à 17 heures.
Welcome (extrait) – Joachim Maudet
Attention, énorme coup de coeur ! Welcome tire jusqu’au bout une idée géniale : faire danser les cordes vocales sans bouger les lèvres. Joachim Maudet, Pauline Bigot et Sophie Lèbre sont figés debout devant nous avec des tops jaune poussin à col cheminée et des jeans ou des pantalons taille haute. Avant même que le public n’ait fini de s’installer, le délire commence. Elles et lui vont se prêter à un exercice de ventriloquie appliqué au charme discret de la bourgeoisie. Elles et lui se mettent à commenter la bonne société sans que rien ne trahisse leur bouche et leur visage figés en mode poker face. Le mouvement est minimal mais pas inexistant. La voix est au chœur des grandes tendances de la danse aujourd’hui et ce travail, au-delà des éclats de rire que le trio provoque, est passionnant. La question est posée, plus de 40 ans après la non-danse qui avait déjà aboli les courbes et les images faciles : comment redéfinir d’autres motifs chorégraphiques ?
Black Bird de Mathilde Rance
Il est toujours intéressant de revoir les spectacles dans leur version en plein air. Nous avions découvert Black Bird lors du focus Jeunes créateurs du Théâtre de la Ville. La partition et l’effet sont les mêmes : revêtue d’une panoplie qui la transforme en créature mi-Castafiore mi-Papageno, la jeune harpiste se livre à ce qui pourrait fort ressembler aux fameuses « attractions » des spectacles des années 1900. Le mot « attraction » est évidemment ici à prendre au sens noble et même littéral, l’artiste attirant à elle l’attention par divers coups de force, arrachage des plumes de son costume, chant quasiment dadaïste autour des mots valises que l’on entend sans cesse dans les médias et les universités, jeu sexuel avec son instrument de prédilection pour presque achever la quatrième de ses saynètes performatives où l’on sent une vibration/impulsion irrésistible qui sort du corps. Que ce soit par la bouche, par le micro qui frappe le cœur ou par le contre-jour du visage derrière un tambour, Black Bird est fait d’une « physicalité » qui vient surprendre. Dans l’espace en plein air et caniculaire de la Parenthèse, elle vient au plus près du public, nous donnant accès aux détails de son costume et de son regard hypnotique.
Swan Lake Solo – Olga Dukhovnaya
D’un oiseau noir à un autre, il n’y a qu’un pas ! Enfin, plusieurs pas, beaucoup plus, même, puisque l’idée d’Olga Dukhovnaya est de danser Le lac des cygnes toute seule. Au commencement, la performance peine à démarrer. Sur une techno très speed, elle s’épuise dans des mouvements qui prennent racines dans l’écriture classique : retirés, dégagés sont là, à rythme délirant. Mais on le sent bien, l’endurance n’est pas le sujet. Nous apprenons, à notre sens un peu trop tard dans la progression, que Le Lac des cygnes est diffusé de façon synchronisée dès l’instant où la Russie entend cacher une information ou encore accompagner la mort d’un dirigeant politique. En 1991, après la démission de Mikhaïl Gorbatchev, Le Lac a été diffusé trois jours. C’est fou. Là, la performance devient intéressante et les ports de bras ponctués de doigts étirés qui désormais montent et descendent, prennent une autre tournure. La danseuse d’origine ukrainienne danse en réalité contre la dictature.
Jusqu’au 17, à 17 heures. Durée 1 h 40. Tout le programme de la Belle Scène est à retrouver ici.
Visuel : ABN