Danse
Outrar, le corps collectif de Lia Rodrigues s’empare du Kunstenfestivaldesarts

Outrar, le corps collectif de Lia Rodrigues s’empare du Kunstenfestivaldesarts

22 May 2021 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Ce n’est pas un temps glacial et une jauge réduite qui feront reculer ni les danseurs de Lia Rodrigues ni le Kunsten. Outrar invente le solo collectif et invite chaque soir des artistes différents à interpréter une même partition. Puissant.

La chorégraphe brésilienne est installée au cœur d’une favela de Rio. Elle y a fondé un centre d’art comme réaction, efficace, à l’état du monde. Les corps vivants comme réponse universelle à la violence semblent être les fils conducteurs de son travail. Dans Furia, la pièce qui l’a révélée à l’Europe, elle convoquait des figures vaudou, ici, pour Outrar elle fait de la pandémie et des empêchements une force.

Ironie de l’histoire, elle est coincée au Brésil et a donc dû travailler avec des danseurs brésiliens vivant en Europe : Marllon Araújo, Luyd Carvalho, Volmir Cordeiro et Calixto Neto.

Elle leur a envoyé à chacun une même bande son, elle-même faite de bouts de ficelles électroniques, mixés ensemble. Chacun était libre de proposer une danse en suivant quelques instructions données. Les gestes sont pensés comme une boite à outils dans laquelle il faut piocher : être paon, ailes d’oiseau, la pause café… 27 en tout. Ces instructions sont elles aussi collectives, elles ont été imaginées par tous les artistes du projet.

Hier soir, la soirée était composée d’un duo de Marllon Araújo, Luyd Carvalho, et d’un solo de Volmir Cordeiro.

Marllon Araújo, Luyd Carvalho arrivent tout en cheveux, en chignon pour Marllon, en boule pour Luyd. Ils prennent la pose et accumulent des attitudes, des postures et des pas. Ils donnent l’illusion d’être en taule, de faire du sport, de se branler, de tourner en rond… Ah, mais c’est ça en fait, ils sont confinés !

Ils s’amusent comme des enfants, dos à dos, ils ondulent leurs bras dans une légèreté si belle qu’on pense qu’ils peuvent arriver à s’envoler. Ils ne se touchent pas ou peu, comme le veut le mot Outrar qui signifie “devenir l’autre, être contaminé par l’autre dans une pratique d’échange continu”. Ce qu’il y a de très beau dans ce pas de deux, c’est le lien qui se tisse entre eux, totalement communicatif.

Et c’est presque sans transition que Volmir fait son apparition. Ce grand danseur est très connu du public parisien car il officie souvent, par exemple au CND. C’est donc une joie de le voir débouler à Bruxelles dans un accoutrement au-delà de coloré. Il est vêtu de plusieurs dizaines de couches de vêtements : des jupes, des jupons, des shorts, des slips… et il en est de même sur sa tête où un bonnet en planque pas mal d’autres. Il a de très longues dreadlocks multicolores. Il sautille et son corps immense fait qu’il traverse le minuscule plateau ovale en deux pas. Son visage est incarné par le rire, tout sonne comme un carnaval, mais un carnaval étrange. Lui aussi puise dans les gestes du sport, dans des “V” que l’on retrouve en aérobic.

La musique qui accompagne les deux pièces est, de par sa composition rapiécée, très inconfortable, elle nous met dans un état d’attente étrange. Si l’humour et la samba se retrouvent souvent, ils sont teintés d’une saveur aigre. Lia Rodrigues rappelle dans le programme de salle que le jour où elle a répondu aux questions du Kunsten, 25 personnes ont été assassinées tout près de Maré, où elle a son centre, elle dit :  “un acte de barbarie sous une gestion alignée avec celle de Bolsonaro, 25 personnes, et non 25 criminels”.

Même à distance, la danse de Lia Rodrigues est politique, elle dénonce mieux que quiconque la situation totalitaire dans laquelle se trouve son pays, et si cette traduction se donne parfois des allures de fêtes, il ne faut jamais oublier d’où elle parle.

Visuel ©Luiz Zerbini

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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