Danse
Michèle Murray “J’aime qu’une danse soit à la fois une pensée, une recherche et un acte artistique”

Michèle Murray “J’aime qu’une danse soit à la fois une pensée, une recherche et un acte artistique”

09 March 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Du 1er au 7 avril, la chorégraphe Michèle Murray présentera à l’Opéra national de Lorraine sa nouvelle création écrite pour le Ballet de Lorraine, Dancefloor. Elle a accepté de répondre à nos questions.

Du fait de votre double nationalité et de vos multiples voyages, votre apprentissage de la danse s’est toujours fait au croisement de diverses institutions internationales (américaines, françaises, allemandes). Quel impact cela a-t-il eu sur votre vision de la danse et sur vos créations ?

Ma première formation est celle de la danse classique en Allemagne. C’est une danse qui fait toujours partie de moi et de mon imaginaire. Dans certaines de mes pièces passées (WILDER SHORES, ATLAS/ ETUDE # 7), et ici dans Dancefloor, nous nous servons du vocabulaire du ballet classique, mais nous cherchons – par divers outils chorégraphiques – à le rendre « parlant » pour le monde d’aujourd’hui.
Ma seconde formation est celle faite à New York auprès de Merce Cunningham. La recherche artistique de Merce Cunningham (recherche que je considère toujours d’une totale actualité) est fondamentale pour moi, et a eu / a un impact important sur ma création chorégraphique et ma danse. J’aime qu’une danse soit à la fois une pensée, une recherche et un acte artistique, tout en étant physiquement très engagée et incarnée. C’est un des héritages que nous a légués Merce Cunningham.
Ma troisième expérience est celle de la diversité de la danse et des démarches artistiques en France et en Europe. Comme mon travail est toujours en conversation réelle ou imaginaire avec les artistes et l’art que je côtoie, il y a forcément une influence sur le travail de ce côté -là aussi. Par ailleurs, je m’intéresse beaucoup à d’autres formes d’expression artistique, notamment à la peinture, à la musique, à la littérature. Tout cela se retrouve dans mon travail.

La ligne directrice de votre nouvelle création, Dancefloor, prend appui sur les tensions qui traversent un corps de ballet de 25 interprètes ; tensions entre la danse en groupe qui fédère l’ensemble, et la liberté de chacun des danseurs (vous insistez d’ailleurs sur la polysémie du terme « Dancefloor » qui vous a guidée vers cette distinction). Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Concernant le groupe et l’individu, j’ai voulu créer une pièce qui prenne en compte ces deux notions. Comment chorégraphier pour un nombre élevé d’interprètes, tout en laissant apparaître l’individu et sa présence singulière ; cette question a été un des sujets de la pièce. Au sujet de la polysémie du terme dancefloor… Le titre d’une pièce est toujours très important pour moi, et il inspire en partie le travail qui viendra. Dancefloor a effectivement plusieurs sens, et ces sens ont leur importance dans cette pièce. Les deux sens que recouvre ce terme disent bien ce que j’ai voulu expérimenter dans ce projet : – Dancefloor, c’est d’abord une « piste de danse », souvent un espace nocturne synonyme de liberté, le lieu d’une danse à la fois individuelle et collective, dans un temps où la notion de temps semble abolie. Il a donc été question d’expérience individuelle et collective, de liberté et de structure, de temps individuel et collectif.- Mais Dancefloor, c’est aussi un « sol ou plateau de danse », donc pour moi, par extension, la boite noire du théâtre, avec l’histoire de la danse que celle – ci contient notamment le lieu d’une certaine virtuosité, de savoir -faire et de métier. Dans ce projet, j’ai voulu travailler à la fois autour du vocabulaire de la danse classique et de la virtuosité de l’équipe des danseur.se.s du Ballet de Lorraine, à la fois sur une danse qui s’inspire des danses d’aujourd’hui, dont celles qui pourraient exister sur un dancefloor. Ce qui m’intéresse, c’est comment lier et faire cohabiter ces diverses danses, et comment les faire exister d’une manière actuelle, en se servant d’outils de travail contemporains, tels que l’écriture instantanée, particulièrement (écriture instantanée, que je pratique avec ma propre compagnie dans tous mes projets).

Le deuxième parti pris qui agit comme point de départ de votre création est un retour au rapport au corps des danseurs et danseuses. Ce parti pris, c’est celui qui a guidé la création de « Play », dont vous êtes la directrice artistique. En quoi réunir des artistes autour de cette compagnie, influence vos projets et créations personnelles ?

Ce qui m’intéresse, c’est la rencontre artistique, car je ne crois pas à l’idée du chorégraphe inventant et créant seul. Un projet chorégraphique est toujours un projet commun, ne serait-ce qu’avec les
danseur.se.s qui y participent. En ce sens, réunir des artistes autour des projets de la compagnie est
fondamental ; c’est en faisant se rencontrer des univers et démarches artistiques diverses que nous
inventons.

Quand le projet de Dancefloor a-t-il émergé dans votre esprit ? Et comment s’est déroulé le travail avec les danseurs et les danseuses du Ballet de Lorraine ?

Lorsque Petter Jacobsson m’a proposé ce projet, ma première réaction a été « c’est un immense
dancefloor ! » Par la suite, c’est devenu le titre et le sujet de la pièce. Comme je dis souvent, mon travail part toujours de la situation dans laquelle je me trouve, ici, c’était le nombre élevé de danseur.se.s, faisant partie d’un « Ballet ». Concernant le déroulement du travail, il y a eu d’abord une période de rencontre, puis un temps de transmission de ma manière de chorégraphier. Celle-ci consiste en un travail sur l’écriture instantanée à partir de motifs dansés (que nous élaborons avec les danseur.se.s), ainsi que la fixation de règles de temps, d’espace, et de relation à l’autre qui se dessinent au fur et à mesure de l’avancée des répétitions ; une écriture libre dans le cadre de « grilles chorégraphiques » strictes. Cette façon de travailler est la base de mon écriture chorégraphique, écriture que je pratique dans ma compagnie PLAY depuis toujours.
Expérimenter ici cette manière de travailler avec un nombre élevé de danseur.se.s, a été un challenge très excitant, d’autant plus que ces danseur.se.s sont tous et toutes virtuoses dans leur technique et très ouverts à toute nouvelle forme de travail artistique.

Vous avez déjà eu pour habitude de travailler avec Gerome Nox (compositeur de musique électronique et électroacoustique) dans diverses créations telles que Wilder Shores en 2020. Dans quelle mesure le travail sur la musique a-t-il une place importante dans cette nouvelle création ? Et pourquoi le choix de musique électronique s’est-il imposé à vous de nouveau dans cette pièce ?

Il y a tout d’abord le travail de Gerome Nox, travail que j’aime particulièrement et que j’admire. Comme nous avons déjà travaillé ensemble à plusieurs reprises, j’ai entièrement confiance en sa qualité de compositeur, ou plutôt de sculpteur de son, comme il se définit. Comme je disais précédemment, je suis intéressée par la rencontre d’artistes et d’univers variés autour d’un même projet. J’aime la friction que génère éventuellement la cohabitation artistique. Pour ce projetci, je ne voulais pas d’un son qui serait en référence directe au « dancefloor » (type techno etc.) mais au contraire, je voulais un univers autre, qui viendrait cohabiter avec la danse que nous développons. Les compositions de Gerome Nox sont pour moi à la fois actuelles et intemporelles, deux qualités qui m’inspirent.

Informations pratiques

Création pour 25 artistes chorégraphiques du CCN – Ballet de Lorraine

Première le 1er avril 2023 à l’Opéra national de Lorraine

Du 1er au 7 avril 2023. 

Visuel à la une : ©Julien Reyes

Visuels en galerie : ©Ballet de Lorraine

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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