Spectacles
Plaidoyer féministe, “Des Femmes qui nagent” est aussi une ode au cinéma

Plaidoyer féministe, “Des Femmes qui nagent” est aussi une ode au cinéma

09 March 2023 | PAR Julia Wahl

Le Théâtre Gérard Philipe accueille jusqu’au 19 mars Des Femmes qui nagent, un texte de Pauline Peyrade mis en scène par Émilie Capliez

Une femme égraine la litanie des histoires de cinéma, de ces femmes qui “s’épanouissent” grâce à l’amour d’un homme ou dont les actions ont pour unique ambition de susciter le désir du spectateur, bref, de répondre à la définition godardienne du cinéma selon laquelle le septième art se limiterait au regard d’un homme sur une femme. En écho à ce constat, un écran fait défiler des images d’autoroute floutée, à la manière d’un brumeux Mulholland drive.

Au contraire du male gaze – dont on aura compris qu’il est au centre de Des Femmes qui nagent – , la mise en scène d’Émilie Capliez fait le pari de l’absence. Les images sexistes de nos films sont évoquées verbalement, mais très peu visuellement, ou alors avec une grande pudeur. C’est le cas de cette allusion à la séquence liminaire de Mulholland drive, qui suffit à faire surgir dans notre imaginaire de spectateurs et spectatrices les scènes explicites du film. Le décalage entre ce que nous voyons et ce que nous entendons crée aussitôt la réflexion.

Dans le même esprit, la langue litanique de Pauline Peyrade, dont les longs monologues passent d’une scène à l’autre sans autre lien apparent que la réification des femmes à l’œuvre au cinéma, empêche les auditeurs et auditrices de s’appesantir avec trop de complaisance sur une scène d’agression sexuelle. Cela ne l’empêche nullement d’être précise quand elle décrit la manière dont l’industrie cinématographique s’empare du corps des femmes et soumet de fait celui des actrices au viol de la caméra.

La scénographie, avec sa moquette sombre et ses portes à battants, évoque le hall d’un cinéma qui se fait aussi plateau de tournage. Aussi la pièce évoque-t-elle les images créées par les films comme les rapports de forces induits dans leur fabrique. Les actrices présentes (Odja Llorca, Catherine Morlot, Alma Palacios et Léa Sery) sur le plateau s’emparent tour à tour des mots ou de la posture d’une autre, cette apparente interchangeabilité des rôles témoignant de l’universalité de ces histoires de violence et d’injonction. Elles sont parfois interrompues par des films d’Alice Guy ou des paroles de Delphine Seyrig, qui édifient sur les cendres de toute une cinématographie misogyne une nouvelle généalogie du cinéma – féministe celle-là. Plaidoyer féministe, Des Femmes qui nagent est aussi une ode au cinéma.

Avec

Odja Llorca, Catherine Morlot, Alma Palacios en alternance avec Louise Chevillotte, Léa Sery
et en alternance 15 interprètes amatrices Pascale Ambron, Ikrame Benhammou,Victoria Chabran, Sylvie Charlier, Mathilde Dorbal, Eugénie Ducange, Alice Fidelle, Annick Irranca-Moncuit, Martine Jegouzo, Jeanne Lasbleis-Renouvel, Léa Le Floch, Mayte Perea Lopez, Céline Veniat, Lilou Wickersheim

Dramaturgie Juliette de Beauchamp
Scénographie Alban Ho Van
Lumière Kelig Le Bars
Musique Sylvain Jacques
Vidéo et images Yann Philippe
Costumes Caroline Tavernier
Assistanat à la mise en scène Julien Lewkowicz

Au Théâtre Gérard Philipe

Jusqu’au 19 mars, du lundi au vendredi à 20h, le samedi à 18h et le dimanche à 15h30. Relâche le mardi.

Durée : 1h45 – Salle Delphine Seyrig

 

Visuel : © Klara Beck

Michèle Murray “J’aime qu’une danse soit à la fois une pensée, une recherche et un acte artistique”
Les graines d’artistes d’Éric du Faÿ aux Invalides
Avatar photo
Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration