“In C” de Sasha Waltz : dans le sillon de Terry Riley
In C “En do majeur”, est la dernière création de la chorégraphe et danseuse allemande Sasha Waltz. Avec sa compagnie Sasha Waltz and guests, elle propose une nouvelle version de cette œuvre work in progress, dans une vision minimaliste et colorée. Marquée par les derniers ébranlements sociaux, Sasha Waltz nous parle des liens qui se désagrègent mais répond par une danse qui célèbre l’intuition, l’altérité et la conscience collective.
Par Ludivine Ledoux
Sa donnée cardinale n’est autre que l’œuvre-phare de Terry Riley dont elle reprend le titre, la musique et la logique. La célèbre partition de Riley, considérée comme fondatrice de la musique minimaliste, rencontre la danse expressionniste de Waltz et se pare de nouvelles potentialités esthétiques. Suivant le modèle du compositeur qui consiste en un enchaînement de cinquante-trois motifs libres d’interprétation, et avec seul impératif de respecter leur déroulement chronologique, Sasha Waltz crée cinquante-trois riffs chorégraphiques que les danseurs interprètent dans une vitalité inébranlable.
D’une démarche fière et déterminée, onze interprètes prennent place dans un décor silencieux et minimaliste. Un monochrome de lumière orange crée une atmosphère secrète et souterraine, et plonge les danseurs dans l’anonymat. Le son de leurs déplacements met en lumière l’effervescence des corps, les pas se superposent au rythme des individualités cachées.
Les premières notes d’In C donnent l’impulsion. Comme un jour qui se lève, le plateau s’éclaircit du centre vers ses contours. Une palette de couleurs douces et joyeuses chasse l’obscurité, les corps se singularisent et se répondent dans un mouvement continu où le centre est partout.
De quoi parle une œuvre créée durant la pandémie ? Au fil des métamorphoses de la lumière, la mise en scène interroge par ses couleurs édulcorées en dissonance avec la conjoncture sombre. Devant l’intensité et l’engagement physique et psychique des danseurs, la danse de Sasha Waltz met face à l’urgence du monde. La chorégraphie captive par sa cadence presque épileptique, à l’image d’In C.
Il faut voir la scène comme un monde qui file à grande vitesse, dans lequel les énergies s’interceptent ou suivent leurs propres trajectoires. Dans un contexte où les contacts ont été rendus hostiles et contraints, Sasha Waltz diverge et chorégraphie les relations humaines. Tout comme dans l’œuvre de Riley, la contrainte dessine des traits communs mais les actions qui en résultent sont l’expression de choix.
Dans ce mouvement collectif, il y a toujours un corps à la marge. La chorégraphie de Sasha Waltz est une traversée sensible qui offre un espace de spontanéité pour l’individu, lequel éprouve un sentiment de liberté en participant à l’énergie créatrice et en ayant le pouvoir de l’influencer. Face aux corps à la fois autonomes et connectés, on assiste à l’émergence d’un microcosme à l’échelle scénique. Les danseurs s’adaptent et développent des stratégies de communication, s’accordent ou se différencient, évoluent entre conscience collective et expérience personnelle.
In C est une œuvre écologique. Si ce terme est abordé sous son angle étymologique, Eco “la maison”, et logo “le langage”, soit l’étude des conditions de nos milieux, on aperçoit les intentions de S.Waltz qui créé son œuvre comme une unité organique, de mouvement et de sens. La chorégraphe répond à la question : comment faire mot avec son corps pour élargir son regard, pour vivre en interaction. La représentation permet de poser un regard sur les comportements humains et agit comme une mise en relation. Parler des problématiques sociales et environnementales est aussi un défi culturel où le spectateur prend conscience par l’art, en passant d’un artiste, d’une couleur et d’une tonalité à l’autre.
Photo : © Yanina Isla
