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Éric Lamoureux :  « AKZAK est une énergie »

Éric Lamoureux : « AKZAK est une énergie »

04 February 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Héla Fattoumi & Éric Lamoureux sont chorégraphes et dirigent VIADANSE, le CCN de Belfort. Nous avons rencontré Éric Lamoureux à Paris pour parler de la belle tournée d’AKZAK et également de l’avenir.

Depuis un an, vous êtes à la tête d’un tube, est-ce tourbillonnant ?

Nous avons conscience d’avoir une chance inouïe. C’est un projet initié il y a un peu plus de 3 ans, avec des premiers allers-retours en direction du Maroc et du Burkina Faso, en collaboration avec la formation Yelendon de Salia Sanou (danseur et chorégraphe burkinabais). À Marrakech, pour les premiers allers, nous avons invité de jeunes danseurs dans des labos. La pièce aurait dû voir sa première il y a deux ans à la Biennale de la danse dans le cadre d’Africa 2020 à Marrakech. Mais le couperet du COVID est tombé. Je me rappelle encore de l’annonce de la fermeture des frontières. Certains de nos amis marocains sont même restés bloqués en France. On a réussi à trouver des vols pour nos amis burkinabais, et la pièce a été mise au placard.

Quand a eu lieu la première ?

La première a eu lieu six mois après, on a repris les répétitions aux Zébrures. Hassane Kassi Kouyaté nous accompagne sur ce projet. On cherchait une fenêtre de tir à l’automne pour partir en Martinique, où on a pu faire quelques dates. Mais ça s’est refermé, puis rouvert. On est parti au Burkina Faso, à Ouagadougou pour quelques dates. La tournée a repris cette saison, depuis l’automne, pour à peu près 60 dates.

Comment faites-vous avec les mesures sanitaires ?

Nous nous sommes battus comme des lions pour avoir neuf passeports talents, qui permettent aux artistes de vivre et de travailler en France. Car en France, travailler avec des collaborateurs qui n’ont pas de passeport talent, c’est compliqué

Pouvez-vous expliquer ce qu’est un passeport talent ?

C’est un passeport qui est prévu pour les jeunes artistes. Quand tu l’obtiens, il faut des contrats de travail conséquents. Ça te donne le droit de voyager sans visa quand tu vis en France. Quand ils ne viennent que trois semaines ou deux mois, cela permet d’être libre. Mais quand nous sommes allés en Égypte, il fallait tout de même un visa. Cela a provoqué un retour d’Égypte pour certains, puis il a fallu faire un test PCR pour revenir… C’est le fait de réunir aujourd’hui de jeunes interprètes, qui, pour la plupart, s’inscrivaient dans un processus d’inscription à un groupe. Il y a cette circulation qui dit haut et fort de ne pas lâcher sur cette nécessité pour ces jeunes, pour qu’ils puissent circuler en tant qu’artistes.

Que signifie le mot « Akzak » ?

Cela vient des Balkans, on l’a détourné : cela veut dire « la patience ». C’est l’association de rythmes ternaires et binaires, qui crée des rythmes boiteux et à contretemps tout en générant un groove pas carré… On aimait bien cette dimension fragilisante du rythme, on voulait un rythme qui n’était pas assimilable à une des cultures en présence… On a travaillé avec des instruments qui ne sont pas assignables à une culture, on n’a pas de djembé, de derbouka. On voulait une combinaison au niveau du rythme avec des instruments qui n’ont rien à voir… C’est important d’ouvrir l’imaginaire et de ne pas travailler en référence à un tel ou un tel.

C’est ironique de penser une pièce sur le monde au moment où il se renferme complètement…

Au départ, ce n’était pas l’idée. Je me dis que c’est une utopie en acte. Nous dirigeons un centre chorégraphique. Nous sommes privilégiés et protégés. Rien n’est tout de même jamais acquis par rapport à d’autres compagnies qui sont beaucoup plus précarisées.

Aucune date n’a été annulée ?

Pratiquement toutes les dates ont été reportées, dont certaines deux fois de suite. Hier, nous étions à Mitry-Mory en Île-de-France, c’était une date reportée. Les scènes jouaient néanmoins globalement le jeu. Nous avons fait une soixantaine de dates en deux ans.

Et que se passe-t-il en cette fin de saison ?

Nous sommes très heureux. Il y a cette tournée en Île-de-France, et à partir de mars nous allons à Châteauvallon, dans le sud. Nous avons fait une résidence avec toute l’équipe, ils nous ont déjà accompagnés. Ensuite la pièce sera au ZEF à Marseille le 3 mars, donc c’est une pièce qui va beaucoup résonner dans les quartiers nord. Nous déclinons les prénoms de certains personnages pour faire entendre la charge poétique de ses interprètes. Il y a le Mercat de Barcelone, où nous faisons cinq dates, puis la Suisse qui enchaîne… Nous avons pas mal de dates. J’ajoute en parlant de Marseille que La part des femmes sera donné au festival du Klap. Il y a donc une présence dans le sud, c’était important pour nous de faire un focus sur cette région.

Justement, est-ce que vous voyez des différences en fonction des territoires quand vous jouez ? La pièce est-elle reçue différemment ?

Nous l’avons joué partout, y compris devant un parterre de professionnels à Créteil pendant l’un des confinements. Ce que je remarque, c’est que dans les endroits géographiques avec une vraie diversité, l’émotion est intense à l’énonciation des prénoms sur le plateau. Il y a tout un cahier pédagogique qui accompagne la tournée. Le public, souvent adolescent, qui voit la pièce, s’identifie et se sent valorisé.

Valorisé et autorisé, peut-être ?

Oui, on peut dire cela. Nous ouvrons une forêt de possibles que je sens dans les échanges. Nous avons de plus une distribution paritaire. Certaines femmes au Burkina Faso ne peuvent pas épouser de carrières, cela a un impact sur le plan symbolique qui s’incarne par l’échange sur le plateau.

Comment les représentations scolaires se passent-elles ?

Scolaire, cela veut dire tout public à partir du collège. C’est une pièce qui est très inclusive, elle ne nécessite pas de connaître les codes de compositions rythmiques et chorégraphiques. Il suffit de se laisser happer par ce qui se passe dans ce dialogue très vivant. C’est possible grâce à notre musicien, Xavier Desandre Navarre, qui est absolument virtuose. Le rythme emporte des gens qui n’arrivent pas à repérer forcément les soubassements politiques et les rythmes. C’est une pièce qui génère beaucoup d’empathie. Et puis, c’est un pari de réunir douze danseurs qui ne se connaissaient pas… J’ai rarement vu un groupe qui s’aime autant. En termes d’ondes, cette dynamique et ce commun se fabriquent en temps réel sur un plateau.

AKZAK dépasse son existence même en tant que spectacle

AKZAK est une énergie. Nous avons eu la chance de faire un documentaire qui retrace notre parcours, intitulé Danser sur les frontières sur TV5 Monde. C’est touchant, on y voit des images au Burkina Faso, les premières rencontres, leur arrivée, la rupture avec la pandémie qui met un arrêt brutal à la dynamique… C’est un projet qui a plein de constellations sur le plan pédagogique, des chemins vers la danse… J’ai fait un spectacle participatif à partir des séquences rythmiques avec des amateurs pendant la pandémie, avec des tutoriels où on apprenait les séquences rythmiques. Cela résonnait avec les applaudissements du soir au balcon. C’était une très belle aventure, c’est pour ça qu’on voulait refaire un petit focus… Cela fait deux ans que la pièce tourne… Il faut arriver à la renouveler.

Vous n’allez pas l’arrêter maintenant, il y a une nouvelle création en 2023 ? Autour d’Édouard Glissant… Qu’est-ce que vous pouvez en dire ?

On se profile sur une nouvelle création pour l’automne 2023, et nous allons poursuivre un travail avec une distribution qui sera très liée à « la diversité ». Je préfère renommer la « diversité » qu’on entend trop comme mot. Il se vide de sa substance. Je reprends à Édouard Glissant un autre conte qui parle de la puissance de la « dissemblance » comme vecteur de transformation et d’élargissement de l’imaginaire du groupe. Je trouve ça très beau d’évoquer cette idée de la dissemblance, et quand on réunit des humanités autour d’un projet commun, c’est la condition pour que du commun se fabrique. Parler de diversité dans le vide fabrique du communautarisme. Nous sommes dans une période nauséabonde qui s’empare de certaines problématiques. Le problème n’est pas la diversité mais le projet commun. C’est ce vers quoi on va en commun qui manque. Édouard Glissant note ce mot « Poécept ». Il est au carrefour de la poésie et de la philosophie. Il a forgé le mot « Poécept », qui est une concrétion de poésie et poétique. C’est de la créolisation. C’est très intéressant, car il l’oppose au multiculturalisme. Pour Édouard Glissant, là où le multiculturalisme juxtapose des absolus, la créolisation emporte tous les absolus vers l’imprévisible. Voilà ce sur quoi on va travailler, c’est la ressource intellectuelle. AKZAK travaille sur des séquences rythmiques, sur une scansion du temps avec des apnées et des points de forces. Là, nous allons travailler sur le flux des habitants et des imaginaires, en créolisant la musique avec Raphaël Imbert au saxophone, qui est un maître de l’improvisation et qui est écrivain, ainsi que Benjamin Lévy, réalisateur en informatique musicale à l’IRCAM, qui travaille avec nous. Trois territoires donc, la musique, la vidéo avec des surfaces mouvantes et la danse.

Vous avez des idées d’interprètes pour le plateau ?

Au minimum dix interprètes et deux musiciens. Les grandes formes sont difficiles à tourner, mais il n’y en a pas tant que ça. Quand une grande forme est plébiscitée, cela permet d’aller à la rencontre du public à travers les programmations. On alterne les grandes et les petites formes. Nous aurons quatre jours à Marseille avec un premier labo de danseurs, avant les dates au Klap. Nous serons cet été à Avignon à la Collection Lambert avec EX-POSE(S), deux petits duos à partir de sculpteurs. Un trait frontal sans lumière dans la salle LeWitt de la Collection. Nous sommes très heureux de cette collaboration. Je voudrais finir en disant que cette nouvelle pièce nous enchante. Cela sera aussi une façon de continuer avec certains interprètes d’AKZAK et également de commencer avec quelques interprètes des Caraïbes. Et nous espérons arriver à aller dans les pays d’où sont issus nos collaborateurs, notamment en Tunisie.

Informations pratiques de la tournée de AKZAK

01 MARS 2022 : Châteauvallon, Scène Nationale, Ollioules (scolaire + tout public)

03 MARS 2022 : Le ZEF, Scène Nationale, Marseille

– 12 MARS 2022: L’Octogone, Pully – SUISSE
 
– 23, 24, 25 & 26 MARS 2022 : Mercat de les Flors, Barcelone – ESPAGNE
 
– 03 MAI 2022 : Le Dancing CDCN Dijon Bourgogne Franche-Comté en coréalisation avec Le Cèdre – Chenôve & l’A.B.C Dijon
 
06 MAI 2022 : La Faïencerie, Creil
 
10 MAI 2022 : Espace Sarah Bernardt, Goussainville, en partenariat avec Escales Danse

Visuel :© Angélique Pichon

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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