Danse
“Elenit”, la géniale et débordante création d’Euripides Laskaridis

“Elenit”, la géniale et débordante création d’Euripides Laskaridis

13 April 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Prenez les ingrédients suivants : l’esthétique de Mon voisin Totoro, les scénographies de Philippe Quesne et de la compagnie du Zerep et tout David Lynch. Voilà, cela vous donne une petite idée de l’univers délirant et ultra-maîtrisé du chorégraphe grec qui s’expose au Festival Séquence Danse du Centquatre.

Euripides Laskaridis n’est pas très connu en France. Pourtant, il est un nom en Grèce et en Europe en général. Le titre du spectacle, Elenit, désigne un matériau fait d’amiante et de fibres de ciment, une tôle ondulée utilisée dans quasiment toutes les constructions pendant près de cinquante ans. Et hautement cancérigène.

Son écriture chorégraphique tient autant du théâtre d’objet que de la commedia dell’arte. Il y a ce trait que l’on retrouve chez Dimitris Papaioannou pour qui Euripides Laskaridis a joué où l’image et ses transformations possibles sont reines.

Alors que se passe-t-il ? Nous sommes projetés dans un monde ultra-burlesque et drag. Tout commence par un aveuglement puis apparaît une créature qui sera le personnage principal de la pièce. C’est une espèce de Marie-Antoinette trempée dans une marmite manga. Elle nous parle en langage Télétubbies. C’est décalé, c’est drôle et… c’est très beau !

Le décor est un monde en surcharge. Comme en Grèce, il y a des bouts de colonnes et des sculptures (une adorable petite Victoire de Samothrace). Une batterie toute en moumoute, une éolienne, de la végétation, une fontaine à eau d’aéroport… entre autres.

Autour d’elle, tout un monde se forme. Une espèce d’Olympe où des dieux, déesses et dragon sur talons roses se comportent comme des humains. Ils ont peur, ils aiment, ils tombent de fatigue lourdement, ils ont du désir, ils sont happés par l’aura du DJ. Euripides Laskaridis, Eirini Boudali, Chrysanthi Fytiza, Emmanouil Kotsaris, Athanasios Lekkas, Dimitrios Matsoukas, Efthymios Moschopoulos, Giorgos Poulios, Nikos Dragonas et Fotini Xhuma ne sont pas reconnaissables.

Ils et elles sont tous et toutes grimés dans un mash-up de références pop et mythologiques. On verra par exemple un personnage ressemblant à Freddie Mercury dans I Want to Break Free, moustache et jupe bourgeoise, hurler de terreur tout en drama face à un gros monstre avec une très grosse queue. Il y a des masques comme dans la tragédie antique. Les nains deviennent des géants, et inversement.  

Ces mix entre ancien et nouveau – la présence de l’éolienne, une création relativement récente pour ralentir notre consommation d’énergie,  et de ces colonnes, cette Victoire, qui n’ont plus rien de superbes, qui font partie de livres de contes et légendes – sont le cœur de cette création fantastique. 

Les apparitions et les disparitions forment la dramaturgie du spectacle. Le chorégraphe y déploie une écriture incroyablement précise. Chaque tableau surgit du précédent pour nous entraîner dans un nouvel espace-temps. L’humour et la beauté marchent en pas de deux dans ce ballet-guignol, ce théâtre d’objets cassés, ce monde décadent.

Il y a cette citation de danse folklorique, une farandole de sirtaki devant le fameux matériau du monde d’avant qui rappelle à quel point les motifs traditionnels en danse sont des outils pour les chorégraphes contemporains. Elenit est un tourbillon qui déborde de toutes parts pour nous rappeler que ce qui déborde vraiment, c’est notre humanité.

Dément.

Le spectacle est présenté au CENTQUATRE-PARIS en co-réalisation avec le Théâtre de la Ville et soutenu par le programme New Settings de la Fondation Hermès.  Du 12 au 15 avril à 21H. Durée 1H45. Complet, liste d’attente sur place le soir de la représentation. 

Visuel : affiche

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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