Cirque
Le rideau tombe sur le Village de Cirque #17

Le rideau tombe sur le Village de Cirque #17

27 September 2021 | PAR Mathieu Dochtermann

Comme tous les ans, la coopérative de rue et de cirque a posé ses roulottes et chapiteaux sur la pelouse de Reuilly (Paris). Après trois week-ends de représentations, voici le moment de s’éclipser, sur un final qui ne manque pas de panache, avec la découverte du Toupet de Kairos (cie de l’Ouvert) et d’Oraison (cie Rasposo).

Le cirque contemporain reprend parfois le côté éphémère du cirque traditionnel : la figure du cirque qui arrive en ville, et qui n’y reste que le temps des représentations, c’est un peu cela que la coopérative 2r2c propose chaque année avec son Village de cirque. D’ailleurs, on s’y croirait : l’espace est accueillant, la buvette et les camions-cuisines cerclent un espace recouvert de tables, des lampions pendent aux arbres, on pourrait se croire transporté sur une place de village !

Pour ce dernier week-end, la programmation ne déméritait certes pas. On a manqué de voir Yin Zéro (cie Monad) et Le poids des nuages (cie Hors Surface), et on doit regretter de ne pas avoir eu l’occasion de découvrir M.E.M.M., qui sera reprogrammé en 2022. Mais les deux spectacles vus valaient clairement le détour.

Le Toupet de Kairos, la clowne qui dansait avec les chevaux

Le Toupet de Kairos nous était proposé par Carole Tallec et la compagnie de L’Ouvert. Un spectacle pour deux chevaux et une humaine, qui s’apprécie à de multiples niveaux. Il s’agit avant tout de donner à sentir une rencontre et un lien, celui de l’artiste avec ces deux partenaires de jeu équins. De ce spectacle, Carole Tallec dit que l’amour en est le fil rouge. De fait, elle se confronte à l’altérité de cette autre espèce, et raconte toute la peine qu’elle a eu à les approcher, à les comprendre, à les considérer pour ce qu’ils sont et pour ce qu’ils peuvent voir jouer avec elle.

La première partie du spectacle se propose comme une démonstration de dressage, à la faveur de laquelle l’artiste raconte le tissage du lien entre elle et les deux animaux. Puis, à la faveur d’une transformation physique, la dresseuse se fait clowne et performeuse, s’animalise comme pour indiquer que son lien aux deux chevaux se produit à un niveau plus essentiel, qui ne peut totalement se rencontrer. L’image de l’être humain redevenue sauvage, juchée sur le dos de son cheval, a une puissance primale et émouvante. Les traces de main ocres laissées sur l’encolure de l’animal font penser aux peintures rupestres laissées par nos lointains ancêtres.

Il se produit ici une rencontre dont la force ne peut être niée. Le dispositif, qui permet à une partie du public de prendre place à même le sol au milieu de l’aire de jeu, place le spectateur dans la position de ressentir toute la puissance animale des foulées qui font trembler le sol. C’est une expérience singulière, sans filtre, authentique. Le faire, ici, est plus fort que les mots, et on pourrait d’ailleurs se dire que la première partie du spectacle se dissout trop dans l’énonciation, et gagnerait à être resserrée. En tout état de cause, cette proposition contient des moments de grâce et d’émotion qui valent le détour.

Oraison, prière crépusculaire pour une renaissance

Oraison file cette thématique du clown, mais sous une forme bien différente. Créé en 2019, ce spectacle de cirque pensé par Marie Molliens a déjà beaucoup fait parler de lui, et à raison. Sous le petit chapiteau, le public est convié à la fête : musiques pop et paillettes, concours d’applaudissements et démonstration de hula hoop, tout est mis en œuvre pour que la salle chauffe… jusqu’à la bascule. Les fusibles disjonctent. Noir.

Car l’intention ici est justement de dénoncer l’artifice, de revenir à l’essence de ce que peut être une expérience de cirque. Pour ce faire, la figure convoquée est celle du clown blanc, dont la fragilité authentique fait un duo parfait avec la prise de risque circassienne. Dans une ambiance foraine déglinguée, faite d’éclairages chiches à la bougie et de musiques étrangement déformées, les 4 artistes en piste prennent leurs risques dans un tempo ralenti, détachant leurs mouvements, faisant sentir leur effort. Equilibres sur canes, fil de fer, tout est décomposé, aucun détail n’est laissé au hasard. La fascination morbide sous-jacente au cirque a rarement été mieux mise au jour qu’ici. L’impact sourd des couteaux lancés à travers la piste se propage jusque dans les tripes.

Les couteaux déchirent petit à petit l’affiche rouge portant les lettres “CYRK”. Que reste-t-il après sa destruction, sinon les corps vivants des artistes, qui, séparés qu’ils étaient du public par un voile, se retrouvent soudain exposés dans toute leur vulnérabilité ? L’image finale invite à penser un autre horizon, où la vie et l’espoir sont possibles après la nuit. Pour l’atteindre, peut-être nous faut-il tous avoir le candide courage du clown blanc, et avancer avec confiance vers cet ailleurs qui nous appelle si nous tendons l’oreille ?

 

GENERIQUES

Le Toupet de Kairos (cie de l’Ouvert)

Avec Carole Tallec et les chevaux partenaires Mapuche et Heilig. Langage cheval partenaire : Céleste Solsona. Accompagnements mise en scène : Thierry Heynderickx. Accompagnement : Martha Rodezno

Oraison (cie Rasposo)

Ecriture, mise en scène, lumière : Marie Molliens. Interprètes : Robin Auneau, Zaza Kuik “Missy Messy”, Marie Molliens, Françoise Pierret. Regard chorégraphique : Denis Plassard. Assistante à la mise en scène : Fanny Molliens. Conseillère à la dramaturgie : Aline Reviriaud. Assistant chorégraphique : Milan Herich. Création costume : Solenne Capmas. Création musicale : Françoise Pierret. Création sonore : Didier Préaudat, Gérald Molé. Assistant création lumière : Théau Meyer.

Visuel : Oraison, (c) Ryo Ichii

 

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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