Cirque
Changement de “Perceptions”, changement de perspectives : essai de cirque quantique

Changement de “Perceptions”, changement de perspectives : essai de cirque quantique

20 June 2022 | PAR Mathieu Dochtermann

Ce samedi 18 juin commençait le festival Solstice, organisé par L’Azimut pôle cirque d’Antony. Ce sont deux semaines de spectacles gratuits qui commencent, avec une large prédominance du cirque. Parmi les quelques spectacles vus ce premier week-end, Perceptions, de la compagnie Bivouac, un spectacle très acrobatique sur une structure monumentale originale autant qu’impressionnante.

Installation monumentale

Perceptions de la cie Bivouac aurait pu souffrir de la chaleur de ce week-end de canicule : finalement, la place du marché d’Antony sur laquelle il est installé à commencé à bénéficier de l’ombre au moment même où il a commencé. Chance ! à part la chaleur résiduelle stockée par les pavés, on a pu assister au spectacle sans trop souffrir.

Installation sur une place, donc, car cette proposition repose sur un dispositif monumental original : un cadre de forme carrée, de bien 8 mètres de côté, initialement dressé à la verticale, au milieu duquel s’inscrit un cercle évidé traversé par une barre pouvant faire office de mât chinois. Par l’intermédiaire de différents axes et moteurs, le plan carré peut être mis en mouvement autour d’un axe horizontal, et s’incliner vers le public. De même, l’anneau qui cerne le trou circulaire central peut se désolidariser de tout le reste de la structure, pour pivoter autour de ce même axe horizontal. Ultime raffinement, des moteurs permettent aussi une rotation de l’intérieur de la couronne de l’anneau, qui se comporte alors un peu comme un tapis roulant. Le tout est soutenu par de grands montants, dont l’un accueille les claviers du musicien.

Ambitions quantiques pour un résultat ordinaire ?

L’écriture de Perceptions est très ambitieuse : on nous dit qu’il ne s’agit pas moins que de rendre compte sensiblement des théories les plus avancées de la physique (théorie des cordes…), de faire voyager les spectateurs dans un “univers quantique”. Malheureusement, à mettre cette belle idée à l’épreuve, il nous semble que ce mouvement initial de lier le cirque à la physique fondamentale se perd presque immédiatement, pour ne plus être très lisible dans le spectacle… Au départ mis en scène à coups de blouses de labo et d’équations écrites à la craie sur la structure, toute notion de physique fondamentale se retrouve rapidement escamotée par les – très bonnes – performances acrobatiques.

Les artistes testent bien toutes les façons de défier la gravité, et dans une certaine mesure quelques effets de la force centrifuge, mais ils ne le font pas vraiment plus ou mieux que maints autres spectacles de cirque aérien en la matière. Rien ne vient plus rappeler ce thème vite effleuré de la dimension quantique, à moins de prendre l’utilisation de cordes comme une métaphore de la théorie du même nom ? l’anneau de la structure comme le nuage électronique d’un atome ? Peut-être l’évolution même de la structure, dont les mouvements sont de plus en plus complexes d’abord pour revenir à un nouvel équilibre une fois arrimée dans une nouvelle position, représente le départ de la physique newtonienne puis l’éventuelle découverte d’une théorie unificatrice ? On ne sait trop, en définitive, et peut-être veut-on trop lire dans la proposition afin d’y retrouver l’histoire qu’on attendait.

Pour le reste, les acrobaties, la danse aérienne, les passages au mât chinois ou à la corde, tout est de très bonne qualité : précis, explosif, technique, impressionnant. Mais, cependant, on a finalement l’impression qu’on est face au piège tendu par toutes les structures de ce type : elle avale toute la dramaturgie, et constitue le centre de gravitation du spectacle qui ne peut plus faire un pas dans une autre direction. Du coup, Perceptions finit par se concentrer sur une exploration de toutes les façons dont les cinq artistes circassiens peuvent s’appuyer sur le structure pour faire des figures. L’enjeu devient alors, au-delà de l’agrès, la prise de risque pure. Ce n’est pas dire que ce soit une mauvaise chose : à voir les réactions du public, le show est très apprécié. Mais c’est moins subtilement écrit que l’on ne s’y attendait.

De la technique et de la musique live : du plaisir en somme

La force de la proposition tient à la grande qualité des interprètes. Les numéros de sangle sont particulièrement bluffants, avec un dynamisme et une maîtrise assez incroyables. Les passages au mât chinois sont également conçus pour impressionner, mais ce qui est le plus intéressant, au final, c’est l’exploration de tous les jeux d’équilibre qui peuvent se faire à la faveur de cette structure où les plans s’inclinent et se dérobent, où le dessus devient le dessous et réciproquement, où toutes les stations sont précaires. Les interprètes s’y accrochent de toutes les façons possible, courent au bord du vide, bondissent sur des plans en mouvement constant, c’est tout à fait spectaculaire.

Il faut ajouter que le musicien accompagnant les cinq circassiens, Yanier Hechavarria, en plus d’être doué, fait un travail impressionnant : c’est à un concert d’une heure qu’il se livre… et on avouera que cela n’aurait pas été une mauvaise idée de laisser quelques temps de répit entre deux morceaux, tant la pression acoustique est constante. En tous cas, ce concert est tellement bon, et le musicien tellement charismatique, qu’on finit par le regarder au lieu de regarder les acrobaties ! Une danseuse est présente aussi, qui propose des mouvements très intéressants, juchée en équilibre sur la structure, ou devant le public au niveau du sol : excellente idée de l’avoir associée au spectacle.

Perceptions est donc une proposition de cirque où, finalement, le plaisir se trouve du côté du spectaculaire et de l’exploit physique, ce qui ravira celles et ceux qui ne jurent que par la prise de risque. Pour les amoureux de narration ou de poésie, ou les passionnés de physique quantique, peut-être que le compte y sera moins. Cela reste néanmoins un spectacle au rythme très enlevé, à l’exécution technique irréprochable, à l’accompagnement musical de premier plan : on serait vraiment difficile si on n’y trouvait pas de quoi passer un bon moment !

GENERIQUE

De Maureen Brown, Maryka Hassi, Benjamin Lissardy
Avec Benjamin Lissardy, Emma Verbeke, Vanessa Petit, Grégoire Fourestier, Quentin Signori
Composition musicale et live Yanier Hechavarria
Mise en scène Maryka Hassi
Assistanat mise en scène Benjamin Lissardy
Scénario et scénographie Maureen Brown
Création lumière Patrick Cathala
Régie Lumière Louise Nauthonnier
Costumes Vincent Dupeyron
Régie générale François Pericault

Photo : (c) Christelle & Eric Simon

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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