Rap / Hip-Hop
Rap et police, une histoire d’amour

Rap et police, une histoire d’amour

07 November 2019 | PAR La Rédaction

La polémique du clip “Fuck le 17” de 13 Block est l’occasion de revenir sur 30 ans de mots doux des rappeurs pour leurs meilleurs ennemis: les policiers.

Par André Barillé.

13 Block ayant sorti son album BLO en avril dernier, il est étonnant que les politiques aient attendu la sortie du clip pour s’offusquer. Pour anticiper, et éviter des problèmes, les rappeurs avaient déjà censuré les paroles les plus hardcores comme “Je rêve de plusieurs corps de policiers” ou “Mort aux porcs !”. Ce ne fut malheureusement pas concluant. Le directeur général de la police nationale, Thierry Morvan, et le secrétaire d’Etat du ministère de l’Intérieur, Laurent Nunez, ont tous deux fait part de leur indignation. Il faut bien dire que niveau contexte, avec le récent attentat à la préfecture de police de Paris et la récente escalade de violence contre les forces de l’ordre en cité, ce n’était vraiment pas le moment de sortir ce clip…

Le rap est né dans un contexte particulier, celui de la rue, des inégalités sociales et de la pauvreté. Au début des années 70, les premières block parties, les premières fêtes consacrées au hip-hop furent instaurées par DJ Kool Herc, le père du rap. Cet art est né dans le Bronx, l’un des quartiers les plus pauvres de New York. Il a fallu une dizaine d’années pour que le rap se politise, avec l’hymne The Message de Grandmaster Flash, récit d’un habitant du Bronx nous racontant ses frustrations et combats quotidiens. Ce morceau influencera durablement une large frange de la production rap ultérieure, entre autres, N.W.A., groupe de Compton comprenant des icônes du rap tels que Eazy-E, Dr Dre ou encore Ice Cube.

Et c’est là que la belle histoire entre nos deux protagonistes commence. N.W.A., quelque peu excédé d’être discriminé pour sa couleur de peau et constamment contrôlé par la police, décide d’enregistrer un morceau dont le titre deviendra la devise de beaucoup de rappeurs : Fuck Tha Police. Ce morceau, genèse du conflit rap/police, entra d’autant plus dans la légende du fait de la lettre du FBI qui s’en est suivie, avertissant NWA contre leur morceau et les accusant de diffamation.Ironiquement, c’est ce qui rendit cultissime Fuck Tha Police et rendit son succès encore plus retentissant. Le gimmick Fuck Tha Police fut repris par une multitude de rappeurs (Bone Thugs-n-Harmony, Lil Wayne, Kanye West…) et la chanson entra officiellement dans le panthéon des chefs d’œuvres lorsqu’il fut classé 425ème meilleure chanson de tous les temps dans la fameuse liste du magazine Rolling Stones.

Le groupe fut ensuite carrément boycotté par le gouvernement et par les classes aisées, qui commencèrent à constater que ce n’était plus seulement les petits noirs des “projects” (cités) qui écoutaient le gangsta rap, mais aussi les petits blancs et les riches, leurs propres enfants…. Une belle hypocrisie ! Mais qu’ils le veuillent ou non, « Fuck tha police comin’ straight from the underground, a young nigga got it bad cuz I’m brown » restera gravé dans la mémoire collective.

Avec la consécration de NWA, beaucoup de rappeurs US se mirent à insulter copieusement les îlotiers dans leurs morceaux. Parmi ces derniers, le moins bien accueilli fut Cop Killer de Ice-T. Ce morceau, plus punk que rap, sorti en 90, fit énormément de bruits à sa sortie car associé aux émeutes de LA en 1992 (alors que le morceau est sorti en 1990) et car contenant des douceurs telles que : « I’d like to take a pig out there on this parking lot and shoot him in the motherfucking face » (« J’aimerais traîner un porc au milieu d’un parking pour lui faire éclater sa putain de tête »). Il n’a fallu que quelques semaines pour voir une vague de protestation mobiliser des organisations de la police, des membres du Congrès, le président George Bush, et même Oliver North, ancien colonel et directeur de la NRA, qui avait trouvé le moyen de comparer la chanson à l’œuvre de Charles Manson. C’est pas un peu abusé ça? Un mec qui a ordonné la mort de centaines de personnes (Liban, Grenade) se pense légitime à critiquer une chanson et à la comparer à une atrocité sans nom ? Une belle hypocrisie. Ice-T s’est toujours défendu d’inciter les gens à tuer des policiers, il parlait juste du ras-le-bol général de la communauté noire, et a fini pas prédire les émeutes de 92.
En France, le premier vrai scandale rap/police vint de Ministère AMER. Le groupe de Passi et Stomy Bugsy sort en 1992 son premier album Pourquoi tant de haine ? avec un morceau nommé Brigitte, femme de flic nous contant les aventures de Brigitte avec tout le quartier pendant que son mari est trop occupé à arrêter des noirs et des arabes. Ce morceau est très drôle et plus subtil que la plupart des raps anti-flics (subtil n’est pas vraiment adéquat vu les paroles, enfin bon). Au lieu de déverser sa haine sur les bleus, le groupe les tourne habilement en ridicule :
« J’ai shooté la fille du shérif
J’ai usé toute ma boîte de préservatifs
A 4 pattes en l’air, elle m’parlait d’son père, un gros commissaire, chef divisionnaire
Elle avale de travers, au début, le coup d’la religieuse
Une seconde passée, la reine des pipeuses »
Ou encore :
« Les novices du vice pissent sur la police, c’est pas l’feu d’artifice
Scratch sur le clitoris, crachent sur toutes les varices
Ma rime éliminatrice, expéditrice, exécutrice
Brigitte, parle pas avec nous si t’es en galère de dentifrice »

Ce titre fit scandale auprès du Ministère de l’Intérieur et le ministre de l’époque, Charles Pasqua, essaya d’interdire la vente de l’album, en vain.
Non content de sa première provocation, le groupe sort, en 1995, Sacrifice de poulets pour la BO du film La Haine. Le morceau raconte une soirée d’émeutes en région parisienne. Et rebelote, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jean-Louis Debré, les poursuit pour “provocation au meurtre”.
Après le procès, le groupe est interdit de concerts et se sépare. Stomy Bugsy déclara en 1998 : « Ce qu’on a dit à l’époque s’inscrivait dans le contexte de la promotion du film La Haine. On était dans ce mood là. Ce n’était pas la même époque. Aujourd’hui, j’ai davantage de barbe, de fiancées, d’argent. Mais, bon, je ne retire rien. »
On peut aussi citer Monsieur R, La Rumeur, Assassin ou encore Sniper comme groupes ou rappeurs ayant eu des démêlés judiciaires pour certains de leurs morceaux anti-police.

Si on peut tirer une conclusion commune à toutes ces affaires, c’est que les procès et les polémiques ont grandement aidé à la notoriété de ces rappeurs. Et comme disait Monsieur R : « Quand Brassens dit « J’aime les gendarmes sous forme de macchabée », ça n’en fait pas un tueur de gendarmes ». Alors d’un côté, on a le fait que la censure de ces morceaux provoque l’exact opposé, rendant les rappeurs encore plus populaires au lieu de leur mettre des bâtons dans les roues, et de l’autre, on a une claire inégalité de liberté d’expression entre les chanteurs de variété et les rappeurs.

Une phase de Kery James dans Original MC’s résume bien la situation et démontre bien l’hypocrisie de s’insurger contre une musique au lieu de trouver des solutions viables:
“Tu me demandes d’être moins direct dans mes textes,
Le rap vient du Bronx, je suis de ly-Or et tu le sais peut-être
Que mon phrasé est basé sur la pure réalité
Une dure réalité, tu n’es pas content
Tu n’as qu’à la changer, merde”

Et pour finir en beauté, nous laissons la parole à monsieur Brassens:
“En voyant ces braves pandores
Etre à deux doigts de succomber,
Moi, j’bichais, car je les adore
Sous la forme de macchabés.
De la mansarde où je réside,
J’excitais les farouches bras
Des mégères gendarmicides,
En criant: “Hip, hip, hip, hourra!”

 

 

Visuel :© 13 Block

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La Rédaction

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