« Que fait la police ? Et comment s’en passer » de Paul Rocher : Police partout
Après Gazer, mutiler, soumettre. Politique de l’arme non létale, Paul Rocher continue de s’intéresser à la « forme police », avec de vives critiques.
Le documentaire de David Dufresne, Un pays qui se tient sage, a permis de mettre en avant les violences policières, et à démontrer l’existence de celles-ci pour ceux qui pouvaient encore en douter. Les nombreuses vidéos filmées lors des manifestations des Gilets jaunes ont remis en avant la question de la pertinence de la police, et si celle-ci a bien vocation à protéger le peuple ou l’Etat. Car selon notre ministre de l’Intérieur : « Les policiers et les gendarmes nous protègent, et ils courent derrière les voyous. » A vous ensuite de voir si le « nous » renvoie justement au peuple français dans son ensemble, ou à l’appareil étatique auquel appartient Gérald Darmanin.
Paul Rocher s’intéresse ici à ce qu’il appelle la « police moderne », qui « désigne spécifiquement une force publique professionnelle organisée au sein d’une institution distincte, reconnaissable par le port de l’uniforme et dédiée à la préservation de l’ordre établie. Cette police moderne repose sur des agents permanents et rémunérés qui suivent les règles mises en place par l’Etat. Autrement dit, la police moderne n’est pas seulement une fonction, c’est un métier. » L’auteur dénonce rapidement l’emprise policière, avec un focus sur le soi-disant manque de moyens qui conduirait les forces de l’ordre à ne pas bien faire leur travail. L’auteur montre, chiffres à l’appui, les moyens dont dispose la police, et l’emprise de celle-ci sur la vie de tous les jours.
Allant à l’encontre d’un « ensauvagement » de la France, Paul Rocher pointe les deux grands problèmes de la police, son racisme et son sexisme structurels. Selon l’économiste et diplômé en science politique de Sciences Po Paris, la naissance de la police moderne va de pair avec la naissance de l’Etat capitaliste : celle-ci servirait à reproduire l’ordre établi, et donc à préserver les intérêts bourgeois de l’Etat (« né avec le capitalisme, la police n’a rien d’un phénomène transhistorique accompagnant les sociétés humaines depuis la nuit des temps, pas plus qu’elle n’a été créée pour assurer la sûreté de toute la population. Sa tâche est bien plus circonscrite : maintenir l’ordre établi. »). Toujours dans cette perspective, Paul Rocher explique que le racisme structurel de la police viendrait du passé colonial de la France, reconnaissant également que la police a très souvent affaire à la jeunesse immigrée ou descendante d’immigrés : « une essentialisation raciale en découle ».
La sévère critique de la police conduit Paul Rocher à ne pas croire aux réformes de la police qui conduirait à un profond changement. Selon lui, la police étant ce qu’elle est, il est impossible de la restructurer. « L’économie politique de l’appareil policier débouche donc sur une conclusion tranchée : l’impossibilité de sa réforme. » Dans un dernier chapitre, Paul Rocher s’intéresse aux différentes formes de gestion des conflits en Afrique du Sud et en Irlande du Nord, deux façons de se passer de la police. La conclusion, censée répondre à la question « et comment s’en passer ? » déçoit un peu par son manque de profondeur.
« Loin de subir une paupérisation, la police n’a jamais été aussi bien dotée. Conséquemment, jamais l’encadrement policier de la vie quotidienne n’a été aussi prégnant. Ce fait établi, on rencontre généralement un autre mythe sur la police. Le gonflement de l’institution serait la réponse à une situation objective en matière de criminalité qui se dégrade d’année en année. L’emprise policière ne serait donc pas l’expression d’un projet de réorganisation autoritaire du pays, mais d’une évolution regrettable de la société. Elle serait dictée par des circonstances extérieures à la volonté des gouvernements successifs depuis trente ans. Or ce deuxième mythe ne résiste pas plus à l’examen des faits que le précédent. L’analyser est néanmoins très instructif pour comprendre la France contemporaine. Car l’emprise policière est d’autant plus démesurée que rien n’indique sa nécessité : au contraire, les données trahissent une police totalement surdimensionnée. »
Que fait la police ? Et comment s’en passer, Paul ROCHER, La Fabrique éditions, 260 pages, 14 €
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