Essais
« Station Goncourt – 120 ans de prix littéraires » d’Arnaud Viviant : Un prix littéraire, et pour quoi faire ?

« Station Goncourt – 120 ans de prix littéraires » d’Arnaud Viviant : Un prix littéraire, et pour quoi faire ?

27 April 2023 | PAR Julien Coquet

Le critique littéraire Arnaud Viviant revient sur le phénomène des prix littéraires. Une réflexion intéressante servie par une plume alerte.

Chaque automne, pour les libraires, chroniqueurs, critiques, lecteurs, etc., c’est le branle-bas de combat. Alors que la rentrée littéraire a déversé en août et en septembre des centaines d’ouvrages sur les étals des libraires, les prix littéraires, eux, ne vont mettre en avant que quelques livres. Ah, la dure loi de la jungle… Pour les plus connus, il faudra (notez l’impératif) avoir absolument lu le Goncourt, le Renaudot, le Médicis et connaître globalement l’œuvre du Nobel de littérature. Mais c’est sans compter tous ces prix peu médiatisés, qui existent pourtant, et qui font vivre la littérature. Aujourd’hui, en France, on compte entre 2000 et 5000 prix littéraires, du Prix de la page 111 au Grand prix du Roman de l’Académie française, du prix du Roman qui fait du bien au prix Interallié. Mais, au fait, à quoi ça sert, un prix littéraire ?

Arnaud Viviant répond tout de go dans les premières pages de son essai : « Eh bien, les prix littéraires, du moins ceux qui sont dignes de ce nom, ne décernent ni médaille ni brevet d’excellence. Ils donnent de l’argent. » Et doublement. D’une part, en espèces sonnantes et trébuchantes comme le prix Décembre qui attribue à l’heureux lauréat un chèque de 30 000 €. D’autre part, la publicité faite au livre entraîne une multiplication du nombre de ventes : le tirage de L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020, a atteint le million d’exemplaires. Des chiffres qui font rêver les éditeurs, qui cherchent à influencer d’une façon ou d’une autre l’attribution de ces prix.

Arnaud Viviant fait remarquer qu’il est juge et partie : s’il écrit sur les prix littéraires, menant son enquête, il a également la casquette de juré au prix Décembre et au prix de Flore (« pour être un bon juré littéraire, il faut donc trouver stimulante, sinon ludique, la pression. »). Dans son essai stimulant, le critique littéraire au Masque et la Plume soulève toutes les questions relatives aux prix : ceux-ci sont-ils représentatifs de l’avis des jurés ? La démocratie fonctionne-t-elle vraiment dans ces cénacles ? Les livres et auteurs élus sont-ils le reflet de la société ? (Réponse négative : « Le Goncourt et la plupart des prix littéraires avancent au rythme pachydermique de la société légale, jamais plus vite qu’elle, souvent plus prudemment et pudiquement. ») Les prix littéraires récompensent-ils forcément les meilleurs livres du moment ? Etc. S’appuyant sur Thomas Bernhard (Mes prix littéraires), Sylvie Ducas (La littérature à quel(s) prix ? Histoire des prix littéraires) ou encore Pierre Asssouline (Du côté de chez Drouant), Arnaud Viviant montre que, au-delà de la question économique, les prix littéraires participent bien à la vie culturelle de la République des Lettres.

« Il y a pour commencer qu’après quinze ans d’existence, le prix Goncourt est devenu un événement national et international. Le phénomène des prix a pris. ”La gloire promise au lauréat n’est pas seulement française, mais gagne le monde entier, avec des traductions immédiates en toutes langues” », écrit Thierry Laget en citant Léon Daudet (premier couvert) qui plastronne comiquement : ”Jusque dans la pampa où galope Douglas Fairbanks, on sait qu’il y a un prix Goncourt, et le gaucho achète le roman couronné, le lit en travers de sa selle, tout en mâchant sa carne sèche.” Les Dix ne sont plus de simples arbitres des élégances, mais des agents économiques d’importance dans un monde de l’édition en pleine gestation. C’est avec la fin de cette rente que l’idée de corruption, de magouille, de tambouille, qui ne cessera plus jamais d’entacher la réputation des prix littéraires, commence. »

Station Goncourt – 120 ans de prix littéraires, Arnaud VIVIANT, La Fabrique éditions, 180 pages, 14 €

Visuel : Couverture du livre

Ghada Amer : les supports en éclat
« Volodia » d’André Ourednik : La fabrique des cauchemars
Julien Coquet

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration