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Questions à Jean-Philippe Wurtz, directeur artistique du Festival “Piano, Piano”

Questions à Jean-Philippe Wurtz, directeur artistique du Festival “Piano, Piano”

11 March 2022 | PAR Victoria Okada

Le Festival Piano Piano va se tenir les 13 et 14 mars prochains, au Théâtre du Bouffes du Nord. Porté par la Bibliothèque Musicale La Grange-Fleuret (BLGF, anciennement Médiathèque Musicale Mahler), le Festival met en valeur différentes facettes d’un instrument qui ne cesse d’évoluer. Voici un entretien avec son directeur artistique, le pianiste, compositeur et chef d’orchestre Jean-Philippe Wurtz.

Comment êtes-vous devenu le directeur artistique du Festival Piano Piano ?

J’ai conçu cette programmation pour la BLGF, dont la programmation est opérée par l’équipe de Royaumont – les deux structures sont jumelées. Après une première édition co-conçue par Sylvie Brély (fondatrice de l’association La Nouvelle Athènes Centre des Pianos Romantiques) et moi-même, en 2018, j’ai pris les rennes du Festival.

La programmation n’est pas cantonnée à une période ni à un type de piano, moderne ou ancien. Quelle est l’idée directrice de cette édition ?

C’est une idée d’ouverture : aux répertoires, si riches et si variés de l’instrument – et il faudrait dire ici des instruments, tant on peut dire maintenant, qu’un piano du XVIIIe n’est pas que l’ancêtre imparfait du piano moderne, mais un instrument à part entière. Il faut considérer pour lui-même, avec ses défauts certes, mais aussi ses qualités propres. Cette correspondance entre évolution des instruments et de la musique écrite pour eux est fascinante !

Le festival présente aussi des œuvres contemporaines, ou semi-contemporaines (XXe siècle) : c’est que le piano n’a pas fini d’évoluer ! Quand on y réfléchit, on s’aperçoit que Beethoven n’a jamais connu l’instrument permettant de jouer ses dernières sonates ! Sa pensée dépassait les capacités de l’instrument dont il disposait. C’est dire que cette question de la « modernité » ne date pas d’aujourd’hui !

Est-ce vous qui avez proposé le programme au musicien ou vient-il de l’artiste ?

C’est toujours le fruit d’un dialogue : les artistes alimentent de propositions une idée initiale avancée par moi. Petit à petit, on coconstruit le programme, mon attention se portant sur la cohérence globale.

Pourriez-vous présenter brièvement la spécificité de chaque concert qui auront lieu au théâtre des Bouffe du Nord, ainsi que le choix des pianistes ?

Le programme est un peu conçu à rebours : on commence avec le projet le plus futuriste : « pianomachine » de Claudine Simon, qui élargit le jeu de l’instrument grâce à des machineries complexes insérées dans l’instrument, dotées d’autonomie. On donne vie ainsi à un « méta-instrument » doué d’une vie propre, avec laquelle l’interprète doit interagir. L’instrument change mais la pianiste aussi ! Le dernier concert du festival sera un dialogue aussi, mais d’une autre nature : Alain Planès et Ralph van Raat, chacun à son clavier, ancien et moderne. Ils feront converser Joseph Haydn et György Ligeti, deux compositeurs dotés d’un solide sens de l’humour ! On terminera ainsi le festival avec une sonate en do majeur de Haydn, composée en 1793, alors que les événements politiques proches lui donnaient probablement le frisson – il était encore, peu de temps avant, un « employé » de la cour des Esterhazy. Les correspondances entre création artistique et cours de l’Histoire sont fascinantes – et bien peu explorées.

Claudia Chan a été artiste en résidence à la Fondation Royaumont de 2016 à 2020 – c’est une pianiste très engagée dans la création, et sa virtuosité est étourdissante. On se souvient de son éblouissante interprétation de Evrialy de Xenakis à Pianos pianos en 2018. Elle interprétera notamment une œuvre étonnante de Huihui Cheng, pour « piano-costume », pour laquelle une tenue particulière a été réalisée, reliant l’interprète à son instrument, et créant un mode sonore de toute beauté. Jean-Pierre Collot, quant a lui se frottera à la sonate de Barraqué, dont il a réalisé une nouvelle édition – œuvre si difficile qu’elle n’est que très rarement jouée ! c’est un grand voyage – à l’image des extraits de Tristan, qu’y se reflètent, et que le pianiste jouera aussi.

Enfin Maroussia Gentet, lauréate du concours d’Orléans en 2018, nous régalera avec de la musique surtout française, allant de Ravel, Debussy (sur un sublime Pleyel de 1905) au prometteur Bastien David.

Il y a également eu, le 3 mars, des masterclasses dans le cadre de formation « De Josèph Haydn à György Ligeti », en coproduction avec la Fondation Royaumont. Les lauréats ont donné un concert le 7 mars à la BLGF. Comment cela s’est déroulé ?

Très bien ! quatre jeunes pianistes du monde entier (Corée, Singapour, France, Argentine), se sont entraînés avec Ralph van Raat et Alain Planès, autour d’un répertoire très large. C’est un bonheur que de voir de jeunes interprètes talentueux fréquenter avec naturel des œuvres aussi bien contemporaines que classiques, et passer d’un piano ancien construit par Walter 1792 à un Steinway moderne avec un égal appétit. C’est une génération d’interprètes décomplexés, à qui la spécialisation parle moins que le plaisir sonore, et dont le talent, irrésistible, nous entraîne dans les répertoires les plus variés.

Comment le Festival va évoluer dans l’avenir ?

Vers toujours plus d’ouverture, je l’espère ! Le piano a un répertoire si riche et si sublime qu’on a tendance, parfois, à oublier de le questionner. Or la mise en perspective ne peut, à mon sens, que décupler encore notre plaisir à réentendre nos œuvres favorites.

Merci beaucoup.

Merci à vous ! bon festival !

Informations et réservation : Théâtre des Bouffes du Nord

L’exposition « Le piano, des sources à la scène » est organisée jusqu’au 18 mars à la BLGF ; On peut y admirer notamment des documents provenant du pianiste Claude Helffer (1922-2004), dont une partition de la Sonate de Jean Baraqué annotée. (du mardi au vendredi 10h-12h ; 14h-17h45)

Photos de Jean-Philippe Wurtz © Royaumont

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