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Les albums de l’année 2010, 2e partie

Les albums de l’année 2010, 2e partie

17 December 2010 | PAR La Rédaction

Après la première partie de notre sélection des albums de l’année 2010 parue  voici quelques jours, voici donc une deuxième, avec en tête de liste l’impressionnant Sisterworld des Américains Liars. Notre joueliste s’étoffe donc de nouveaux titres et continuera à se remplir à mesure que nous continuerons de survoler l’année.

Liars, Sisterworld

Si depuis une décennie Liars s’est imposé comme une formation incontournable chaque nouvel opus n’en est pas moins un événement à la hauteur des attentes que le trio new-yorkais suscite. Après la glorieuse charnière Drum’s Not Dead (2006), le combo emmené par Angus Andrew nous avait laissé avec un album éponyme (2007) amorçant encore une fois un tournant, cette fois-ci moins expérimental mais tout aussi singulier. Sisterworld arrive donc avec son lot de phantasmes nourrissant l’idée d’un possible premier faux pas. Seulement Liars invente et se réinvente sans cesse. Liars est indéniablement un groupe en mouvement qui nous transporte à chaque étape et ce cinquième opus ne déroge pas à la règle.

Ce n’est donc pas étonnant que le trio accompagné de Tom Biller a pris ses quartiers pour la première fois à Los Angeles pour réaliser ces onze titres. Dès l’ouverture, l’incantatoire « Scissor » (qui donne lieu à l’un des meilleurs clips de l’année, voir ci-dessous) nous place dans les montagnes russes que nous allons traverser. Comme un écho aux titres les plus noisy dans la pure tradition Liars (« Scarecrows on a Killer Slant », « The Overachievers »), Sisterworld est ponctué de ballades plus minimalistes mais loin d’une simplicité toute faite, laissant la part belle aux instruments acoustiques (« No Barrier Fun », « I Still Can See an Outside World »).

Indéniablement, il y a là ce que Liars sait faire de mieux et chaque titre est un condensé des frontières que le groupe repousse sans forceps, avec la délicatesse d’un songwriting sans paillette (« Drip, Drop Dead », « Too Much, Too Much ») jusqu’au tubesque « Proud Evolution » aux accents de Radiohead pleinement assumés (Thom Yorke en a d’ailleurs réalisé un remix). Cette ascension s’achève sur le majestueux « Goodnight Everything », point d’orgue de la maîtrise et du talent des trois chamans, à l’image de leurs concerts mystiques.

Encore une fois Liars répond présent et s’inscrit durablement comme une pierre angulaire de la musique de ce début de siècle, fer de lance d’une avant-garde polymorphe qui ne se travestit jamais.

Camille Jamain


Push Up !
, The Grand Day of Quincy Brown

Coté musique et arrangements, Push Up ! puise avec une joie non dissimulée dans l’héritage sonore et groovy de la grande Black Music, avec quelques surprises : la flûte traversière de Ji Dru aux puissantes sonorités narratives, des riffs rock, une wah-wah incendiaire et le synthé déchaîné de Jean-Fi Dary. Niveau vocal, on en reste baba, les rondeurs stylées de la voix unique et essentielle de notre diva soul nationale Sandra Nkaké se marient à la perfection avec  la dynamique du poète Karl « The Voice » et le slam anglophone de Allonymous.

Claire Linda

Arcade Fire, The Suburbs

C’était le grand évènement musical de l’année 2010 : la sortie du troisième album d’Arcade Fire, après deux merveilles noires et brûlantes  qui leur avaient permise d’être officieusement sacrés meilleur groupe de rock du monde, entre autres par David Bowie. On attendait donc avec impatience The Suburbs. Et pas de déception. Si parmi les seize chansons du disque on note de petits ratés, un « Month of May » un peu emphatique et quelques répétitions dans le rock expansif de « Ready to Start ». Mais on retrouve l’énergie un peu noire qui a tant plu dans « The Suburbs », la chanson-titre qui ouvre l’album, ou dans les claviers d’arrière-plan qui rendent grandiose « Half Light I ». Quelques expérimentations aussi, dans « Half Light II », dont le rythme cold wave se double d’intonations quasi dance. Va-t-on bientôt danser sur Arcade Fire ? On le pourrait presque avec « Sprawl II », au son des boîtes à rythmes qui soutiennent la voix toute en violence contenue de Régine Chassagne. Après avoir donné dans le baroque d’un Neon Bible, Arcade Fire redonne sa vitalité aux banlieues tristes. Magique donc.

Beach House, Teen Dreams

Teen Dreams, troisième opus de Beach House, ne change pas l’équation « dream pop » des deux précédents : des harmonies douces et rêveuses, presque berçantes, des guitares délicatement réverbérées, des percussions  qui scandent à la perfection les croisements mélodiques. Les claviers embrassent les cordes dans des entrelacs qui se multiplient au cœur de chaque piste et on peut écouter dix fois les dix chansons tant est riche et complexe l’architecture de l’album. Un peu plus ensoleillé que ses prédécesseurs, Teen Dreams est une promenade sur une plage enneigée, une réminiscence nostalgique à la Virgin Suicides – on pense parfois au meilleur Air, chanté par une Cat Power à la plus large tessiture. Oui mais il reste X, l’inconnu : la voix éthérée et lumineuse de Victoria Legrand, la violence délicate, presque enfouie, de ces cinquante minutes de magnificence, la sensibilité du tempo, qu’on sent vaciller à chaque instant comme une bougie sur le point de s’éteindre, suivant la voix de Victoria. La beauté, euphorisante malgré sa mélancolie sublime.

Raphaël Czarny

Rachmaninoff, Liturgie de saint Jean Chrysostome et Vêpres, par Laurence Equilbey et Accentus

Les mains magiques et perfectionnistes de Laurence Equilbey, sculptent le son d’Accentus depuis bientôt vingt ans, pour interpréter dans le monde entier les œuvres majeures du répertoire a capella ou booster la création contemporaine. Sorti en octobre, le nouvel enregistrement de Laurence Equilbey et Accentus donne à entendre la Liturgie de saint Jean Chrysostome et les Vêpres de Rachmaninoff. Comme à son habitude, Laurence Equilbey ne donne pas rendez-vous à ses chanteurs en studio uniquement pour enregistrer un album : elle éprouve le programme sur les scènes internationales et décide d’enregistrer quand la partition est absolument digérée et vocalement maîtrisée dans ses moindres subtilités. Pour ces oeuvres monumentales, Accentus est rejoint par le Choeur de chambre Eric Ericsson, maître incontestable du Chant Choral suédois et international. Les voix se démultiplient à merveille, les basses descendent dans des profondeurs inouïes, la virtuosité et la musicalité de Laurence Equilbey, d’Accentus et du choeur Eric Ericson sont infaillibles. Ce disque nous entraîne aux confins de la Russie, les basses nous précèdent, l’orchestre vocal nous emportent, la musique est puissante, chargée d’énergie et de force venue des abysses pour nous donner un plaisir immense.

Brahms, Concerto pour piano No. 2 et Klavierstücke op. 76, par Nicholas Angelich, dir. Paavo Järvi

Nicholas Angelich  a fait de Brahms une de ses spécialités. Sa musique entre en résonance avec les dons et le travail du pianiste. Peu de pianistes aussi jeunes on su donner autant de relief, de sens et d’émotions aux œuvres de Brahms. Nicholas Angelich a une puissance exceptionnelle de jeu dans les registres graves ; sa vitalité rythmique produit un son solide riche et de qualité dans la gamme complète. Sa finesse, sa technique et ses compétences nous transportent du mouvement lent au final. La direction légère et précise de Paavi Järvi donne une belle présence à l’orchestre. Les amoureux de Brahms pourront fièrement ajouter ce magnifique disque à leur discothèque. Si vous aimez le piano, cette interprétation grand public vous réservera des surprises sans perdre son intégrité.

 

Arno, Brussld

Arno ne connaît pas la crise. Son rock mordant, son énergie rythmée de mots, sa douce folie nous emportent une nouvelle fois. Il choisit Bruxelles comme toile de fond, ville cosmopolite, multiple, tantôt rock, tantôt canaille, comme Arno lui-même. Cet album vous saisit dès le premier morceau, « Black Dog Day », un rock jouissif et endiablé aux arrangements très travaillés, sublimés par des chœurs habilement placés. Fidèle à son plaisir de l’alternance, le second titre « Quelqu’un a touché ma femme » vous cueillera en émotion. Cet album est un enchaînement de plaisirs, rythmés, pensés, poétiques, simples et géniaux où la tendresse se mêle à un vocabulaire riche et fleuri, via la dureté de la voix tendre d’Arno. « Elle pense quand elle danse », « Mademoiselle », « Lundi on reste au lit » sauront séduire les amoureux des chansons d’Arno et les transporter loin dans un imaginaire puisé dans l’émotion pure. Les danseurs et buveurs de rock sauteront et chanteront sur « God Save the Kiss », « Brussels » ou « How Are You ? ». Après 35 ans de carrière, Arno n’a rien perdu de sa verve, de son âme, de son énergie de sa beauté, de son amour et de sa musicalité. Un album à consommer sans modération !

Bérénice Clerc

Ventura, We Recruit

Ce petit groupe suisse a définitivement tout d’un grand. Son album We Recruit, paru peu avant une collaboration avec le chanteur des Jesus Lizard (David Yow), reste une des perles de cette année. Puissant par son ouverture « Brace for Impact », qui vous mène du sifflement d’un gardien jusqu’au chaos dans sa plus grande beauté, ou de fort de son humour ou de sa sincérité avec « Twenty Four Thousand People », hymne punk d’une efficacité incroyable. Un album qu’on écoute et que l’on réécoute, encore et encore, sans jamais se lasser.

Les Savy Fav, Root for Ruin

Dernier album de ce déjanté de Tim Harrington et de ses compagnons, Root for Ruin poursuit les avancées entamées par Let’s Stay Friends, sorti il y a trois ans. La maîtrise du subtile mélange entre la folie, la hargne et la mélodie, sur un fond de guitares stridentes et incisives. Post-hardcore à fond. Yeah !

Marvin, Hangover the Top

Une des plus grandes surprises de cette année 2010. Marvin, jeune groupe de Montpellier a marqué l’année et le paysage musical français avec un album survolté oscillant entre la musique sophistiquée, le synthétique, mêlant l’ancien au nouveau, l’avant à l’après, permettant une appréciation unanime de cet œuvre, de son « Roquedur », hard rock contemporain, jusqu’à la reprise de Brian Eno « Here Come the Warm Jets ».

The Young Gods, Everybody Knows

De nouveau, un groupe suisse, pays qui nous aura bien gâté cette année. Après 25 ans d’existence, les Young Gods ont encore sorti un album incroyable, fruit de leur expérience acoustique récente (album acoustique Knock on Wood et tournée à l’avenant) et de leur maîtrise du sampler et de la musique industrielle (album comme TV Sky ou Supper Ready/Fragmenté). « Blooming », « Miles Away », ou « Mr Sunshine » sont autant de chansons qui envoûtent. Un exemple du mélange des styles qui, par nature, engendre des choses nouvelles.

Gâtechien, 4

Produit par Ted Niceley (Fugazi, Noir Désir…), la quatrième album de Laurent et Florian, (basse et batterie), qui constituent ce duo, est un exemple de la tendance (très positive) qui se dessine dans le paysage rock indé français actuel. Du vrai rock’n’roll, nerveux, jouissif, inventif, malin… à l’extrême.

 

François-Xavier Delaby

Alice Lewis, No One Knows We’re Here

Une des révélations de la scène française en 2010, Alice Lewis signe avec No One Knows We’re Here un premier album très maîtrisé. De chansons oniriques et féeriques en chansons pop dans la droite lignée d’une Kate Bush, en passant par des passages plus intimistes, cette jeune auteure-compositrice-interprète montre que la scène française a parfois suffisamment de talent pour rivaliser avec le Royaume-Uni. Pop ambitieuse aux arrangements élégants (section cordes des Tindersticks ou The Divine Comedy – excusez du peu –, sonorités extrême-orientales…), ce très beau premier album d’Alice Lewis s’avère proche de la démarche de Florence & the Machine, par exemple. On a très hâte de la découvrir sur scène, à la Loge, le 21 janvier.

Olivia Pedroli, The Den

La Suissesse, qui sortait cette année son troisième album (le premier sous son vrai nom), nous a laissé stupéfaits, tant à l’écoute de son album obsédant qu’à la vue de sa performance intense au Café de la Danse en novembre. Album d’une mélancolie persistante et capiteuse, The Den est une œuvre ambitieuse d’un folk à fleur de peau, langé dans des arrangements classiques (cordes, cuivres, piano) et un habillage de sonorités synthétiques. Une voix expressive, à la large tessiture, couronne des compositions tantôt délicates et tantôt puissantes, variées et entêtantes (à l’image de « The Day »). On pense à Joanna Newsom (plutôt qu’à Björk) pour l’ampleur et la classe de l’orchestration, à Beth Gibbons (d’avec Rustin Man) pour le chant à fleur de peau, bien que son registre vocal soit beaucoup, beaucoup plus ample et son registre émotionnel aussi. Mais elle est surtout foncièrement unique et The Den un disque bien personnel. Un album pénétrant, sans aucun temps faible. Un chef d’œuvre ? Oui, possible.

Mikaël Faujour

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La Rédaction

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