La Voix Humaine : Stéphanie d’Oustrac magistrale dans la dépendance selon Cocteau et Poulenc
Jusqu’à Dimanche 13 février, Vincent Vittoz, Stéphanie d’Oustrac et Pascal Jourdan proposent une production exceptionnelle de trois pièces signées Poulenc/ Cocteau : “La dame de Monte-Carlo”, “Lis ton journal” (Le bel indifférent) et surtout “La voix humaine” (1958). Ce drame lyrique en un acte met en scène la voix au téléphone d’une femme qui vient de se faire quitter. Aussi à l’aise dans la comédie que dans les trilles, Stéphanie d’Oustrac est tout simplement magnifique.
Écrite pour la sociétaire de la comédie française Berthe Bovy, “La voix humaine” est une tragédie en un acte où l’on entend une conversation téléphonique tronquée d’une jeune-femme avec l’homme qui vient de la quitter. Elle a attendu ce coup de fil, terriblement. Elle est prête à tout, à supplier, pour qu’il lui mente et lui parle et la voie de temps en temps. Avec une cruauté raffinée, Cocteau dépeint un éternel féminin aux bord du gouffre, prêt à se sacrifier et à tout accepter par amour, même les déchirements de la séparation. Il montre en même temps que les inventions modernes comme le téléphone séparent vraiment les amants et préviennent toute réconciliation intempestive. Paradoxalement, les dames de la “haute” de Cocteau, qui vont au théâtre, dînent en ville, voyagent en Italie et reçoivent des pneumatiques, ne sont pas vraiment des princesses. Et c’est avec un réalisme terrible qu’il décrit la conversation qui s’interrompt à cause de la ligne de téléphone, l’attente, la révélation du mensonges et les prières. Composée en 1958, la musique de Poulenc suit les sautes d’humeur du personnage principal qui oublie parfois qu’elle a été quittée et se remet à badiner avec l’aimé, qui déclare sa flamme avec lyrisme, désespoir et générosité, ou qui est comme frappée au thorax par une autre explosion dee poche de douleur au souvenir de la rupture.
A cette intense “Voix humaine”, le metteur en scène Vincent Vittoz a ajouté deux autres textes de Cocteau, qui dépeignent également la dépendance des femmes : “La dame de Monte-Carlo”, et un extrait du “Le bel indifférent” : “Lis ton journal”. La superbe scénographie imaginée par Amélie Kiritzé-Topor fait tout à la fois penser à du Annette Messager, à un salon Belle époque, et à une toile d’araignée de chair dans laquelle la femme se laisse emprisonner. Stéphanie d’Oustrac entame le spectacle dans la pénombre emmaillotée dans l’apesanteur de ce grand tricot de chair, tandis que son complice et accompagnateur, Pascal Jourdan est relégué au côté de la scène. Tout l’espace demeure donc libre pour que Stéphanie d’Oustrac y atterrisse et s’y love contre un coussin sur un sofa comme dans un boudoir de grande dame. Prenant toute la place, et laissant beaucoup mieux retentir sa voix les deux pieds sur le sol, l’arrière petite nièce de Francis Poulenc est tout simplement bluffante : elle rugit, gémit, se tord, bondit, se réserve avec pudeur, et repart à l’assaut. Tout ça à la fois avec son corps longiligne gainé d’une robe de soie grise, et avec sa voix qui supplie, avoue, et pardonne, avant d’avouer : “J’ai le fil autour de mon cou. J’ai ta voix autour de mon cou… Je suis brave. Dépêche-toi. Coupe! Coupe vite! Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime…”. Parfaitement dirigée par Vittoz, celle qui a été une des muses de William Christie, sait tout faire : jouer la comédie , chanter, charmer avec son sourire et son interminable crinière et elle le fait avec tant de passion et de plaisir qu’elle communique tout un monde au spectateur. Originale,visuellement frappante, et parfaitement jouée et chantée, cette “Voix humaine” ne peut que profondément toucher le spectateur.
“La Voix Humaine”, texte : Jean Cocteau, musique: Francis Poulenc, mise en scène : Vincent Vittoz, scénographie : Amélie Kiritzé-Topor, chant : Stéphanie d’ Oustrac, piano : Pascal Jourdan, durée du spectacle : 1h10.
® Amelie Kiritzer-Topor