Chanson
La superbe clôture 100% queer du 76e Festival d’Avignon

La superbe clôture 100% queer du 76e Festival d’Avignon

27 July 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Depuis que la nouvelle est tombée en mars, nous attendions ce 26 juillet avec envie et impatience. Et pour une fois, nos désirs ont coïncidé avec une très belle réalité. Au programme, une soirée débutée à 18h par Miss Knife et ses sœurs suivie par la poésie slamée de Kae Tempest dans la Cour d’Honneur.

 

18h- Miss Knife, bien entourée.

Vous le savez, Miss Knife est le double d’Olivier Py. Il et elle traînent dans le même corps depuis 1995. Quelque fois en robe lamée et perruque blonde, d’autres fois comme ce soir, tout en noir et avec un chapeau Haut de forme. Quand elle entre en scène ce soir, c’est magistral. On la découvre en vieille diva portée par l’Orchestre national Avignon-Provence dirigé par Debora Waldman. Miss Knife n’a pas changé d’un iota. Elle chante la noirceur du monde, la déprime profonde. Ses mots résonnent fort avec ceux d’Olivier Py prononcés 48 heures plus tôt lors de la dernière conférence de presse, à laquelle d’ailleurs, les journalistes n’ont pas eu la parole. Dans sa lettre à son successeur, il pointait la solitude extrême d’un directeur entouré d’ennemis. Dans son mal-être, Miss Knife toquait à la porte, fort. Et heureusement qu’elle est là pour transformer la peine en beauté.

Elle chante :

“Et puis un jour on nous oublie nous retournons la poussière On nous délivre on nous délie de l’obscur et de la lumière Notre nom sur un costume est retrouvé par hasard Pour toute gloire posthume quelqu’un s’écrit : C’était un ringard !”

Miss Knife fait l’éloge du suicide et des merveilleux amants de quelques heures. Elle est nostalgique de naissance et nous savons bien qu’elle est éternelle.

Le spectacle n’était pas un seule-en-scène mais bien tout le contraire, puisque d’autres chanteuses sont venues se succéder au micro de l’iconique soprano devenue baryton.

C’est d’abord Angélique Kidjo qui a d’ailleurs partagé sa voix avec Miss Knife sur Halleluia avant de laisser la place aux Dakh Daughters. Elles sont six au look tout droit sorti de l’univers de Tim Burton. Elles nous offrent un moment suspendu où les cordes sont déphasées avec brio. Elles entremêlent leur répertoire aux allures de contes freak avec les récits de la guerre en Ukraine. Magnifique.

 

22h . Le flow radical de Kae Tempest

En voici une clôture de festival des plus osées :  programmer de la poésie contemporaine slamée ! Mais pas n’importe laquelle. Kae Tempest est une icône du spoken-world. En 2013, iel est reconnu.e comme le.la poete.esse de la prochaine génération par la Poetry Book Society, une distinction décennale. Son dernier album, The Line is a Curve, a reçu un succès critique et public indéniable.

Iel arrive comme si iel voulait disparaître. Chaussures informes, vaste chemise, vaste pantalon. Iel cache ses yeux derrière son micro. Pourtant, iel accueille sérieusement et nous intime l’ordre de nous laisser porter. “Les poèmes seront traduits, mais pas les chansons, ce n’est pas grave si vous ne comprenez pas, ressentez”.

 

(…) Find me apart from the world
In an ocean that dances and curls its foul tides around focus
Aren’t these the words that I hoped for?
Me and the notepad
Like all is right with the world
What’s the world for ?
Give me a space to be void
Give me the memories back I destroyed
That girl from the past
That laid the foundation stones
Let her come take me home now
I need her (…)

Sa poésie arythmique est un manifeste bien plus essentiel que politique. Il est question d’identité bien sûr. Kae parle sans cesse à celle qu’iel était avant. Mais ce n’est pas le plus central. Dans un geste super actuel, iel vient dire l’urgence de s’autoriser à être soi, qui que l’on soit. Sa parole a des allures de prophéties qui, portées par les claviers de Hinako Omori, deviennent chamaniques. Malgré quelques déçus qui ne sont pas entrés dans la transe, la performance fut envoûtante pour une très grande partie de la Cour d’Honneur, debout.

Le geste est très 70’s, il remet la poésie au centre du monde en lui donnant ainsi un pouvoir de changer la société.

S’il vous plaît, lisez les textes de Kae Tempest. Ils sont tous en ligne. Ecoutez-la dire ses mots de sa voix fragile. Si vous avez comme nous la chance que son timbre et son manifeste entre en vous, vous serez les rois et les reines de l’instant.

La musique de Kae Tempest est géniale car elle est autre chose. C’est un mélange de slam anglais auquel des lignes pop années 80 se mêlent. C’est du théâtre, c’est de la poésie, c’est de la musique. C’est doux et c’est violent. L’écriture de Kae Tempest fait de iel une artiste incontournable.

Merci d’avoir osé, le Festival d’Avignon.

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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