Classique
Théâtre des Champs-Élysées : un rendez-vous virtuose entre Jonathan Fournel et l’Orchestre de chambre de Paris

Théâtre des Champs-Élysées : un rendez-vous virtuose entre Jonathan Fournel et l’Orchestre de chambre de Paris

12 January 2023 | PAR Eleonore Carbajo

Une programmation au Théâtre des Champs-Elysées qui bouscule les attentes du spectateur ; originale et cohérente, l’Orchestre de chambre de Paris interprète ce mercredi 11 janvier la suite pour orchestre Pulcinella d’Igor Stravinsky, le concerto pour piano et orchestre n°18 en si bémol majeur K.456 de Mozart, sublimement exécuté par Jonathan Fournel, et pour finir en beauté, la suite pour orchestre Le Bourgeois gentilhomme, op.60b du grand Richard Strauss. A la direction, Thomas Dausgaard mène l’orchestre d’une main de maitre, solidement épaulé par Deborah Nemtanu au premier violon.

Un programme aux influences résolument classiques et néo-classiques qui n’en finira pourtant pas de surprendre le public. Le chef vibre pour son orchestre, dirigeant sans baguette, ses gestes amples sont bien plus le reflet de la mélodie, du rythme, et des émotions, que les dépositaires d’une métrique rigoureuse. Du premier rang, on peut l’entendre marteler la rythmique des basses de son souffle dans les phrases les plus fougueuses du Strauss, ou tout au contraire, mimer les doubles et ornements des bois du bout des doigts dans la Pulcinella, guidant ses musiciens dans le moindre détail. C’est tout en retenue et en élégance qu’il accompagne la virtuosité de Jonathan Fournel dans son interprétation du concerto n°18 de Mozart.

La Pulcinella de Stravinsky, l’entrelacement des timbres de chaque famille d’instruments

L’orchestre entre, suivi par son chef, afin d’entamer la soirée sur l’air d’ouverture cadencé et rythmé de la Pulcinella. La composition du ballet entre 1919 et 1920 à la suite de la commande de Serge Diaghilev, marque l’entrée d’Igor Stravinsky dans sa période néoclassique. La suite pour orchestre qui lui succède est créée en 1922 par l’Orchestre symphonique de Boston sous la direction de Pierre Monteux, les parties vocales étant intégrées à la partition de l’orchestre et l’opéra réduit à huit pièces.

Vingt-trois minutes de dialogue entre les musiciens solistes et l’orchestre, un thème qui se propage, nous donnant à voir toute la beauté et la subtilité de l’effectif particulier et intimiste de l’orchestre de chambre. Tous les pupitres sont mis à l’honneur dans des parties solistes qui permettent de faire dialoguer le timbre du violon à ceux de la petite harmonie ou à la clarté des cuivres. Le caractère et l’esthétique intimiste des solos contrastent d’autant plus avec les tutti, où l’Orchestre de chambre de Paris revêt des allures de symphonique dans les oreilles du spectateur, alors ébloui par l’ampleur de l’ensemble dans une acoustique aussi vibrante que celle du Théâtre des Champs-Élysées. Chaque mouvement entraîne le public au sein d’une nouvelle atmosphère et permet la découverte d’un nouveau soliste : hautbois et violon se répondent dans la Serenata (II), les glissandos du trombone accompagnent la contrebasse dans le Vivo (VII). Ici, la beauté est un relais, un fil conducteur qui passe dans le timbre particulier de chaque famille d’instruments, sans jamais s’arrêter. Mais toute la modernité de l’œuvre se retrouve dans les coupures et décalages rythmiques, parfaitement exécutés par l’orchestre, afin d’emporter le spectateur dans l’esthétique stravinskienne et ne jamais le laisser tout à fait dans le fond de son siège, jusqu’à un final brillant où la résonnance de la dernière note se mêle aux applaudissements du public.

Le concerto n°18 de Mozart majestueusement interprété par Jonathan Fournel

L’impatience du public est palpable et va crescendo à mesure que le piano est installé et que l’orchestre est prêt à accueillir son soliste. Entre alors sur scène Jonathan Fournel, concertiste le temps de quelques représentations pour l’Orchestre de chambre de Paris. Pourtant, l’alchimie entre le virtuose et le reste de la formation a bel et bien lieu et se remarque dans les sourires et poignées de main complices échangés avec Thomas Dausgaard. Au programme, le concerto n°18 en si bémol majeur, sixième composition de Mozart pour la seule année 1784. Un choix inspiré par le répertoire du concours Reine Élisabeth dont Jonathan Fournel sort lauréat en 2021, et par les conseils avisés de son ancien professeur, Louis Lortie.

La pièce s’ouvre sur l’Allegro vivace, où l’on retrouve l’esthétique mozartienne joviale qui prépare l’entrée du piano, rejouant à son tour le thème principal. Sans partition, avec une aisance certaine, Jonathan Fournel entre en scène, déployant les variations de deux thèmes qui se succèdent et se superposent dans un jeu admirablement sobre. Aucun motif répété plusieurs fois n’est joué de la même manière, le jeune pianiste est à l’image de l’œuvre qu’il interprète ; la complexité de la composition comme celle de l’interprétation semblent simples aux oreilles du spectateur, qui ne retiendra dès lors que la sobriété et la grâce de son interprète. Inspiré et très habité, un masque solennel se pose sur le musicien et sur l’orchestre dès les premières notes du deuxième mouvement, l’Andante un poco sostenuto, qui dénote de l’esthétique classique de Mozart qu’on retrouve dans les airs plus guillerets et lyriques des premiers et troisièmes mouvements, et dans bon nombre de ses concertos et sonates. Un mode mineur, un tempo plus lent et un ton pathétique contaminent le spectateur des subtiles émotions déployées par le pianiste et l’orchestre. Certainement pas le concerto le plus connu de son compositeur, ce mouvement divinement interprété par un Jonathan Fournel passionné, diversifie le répertoire classique mozartien attendu par les spectateurs, comme l’illustre l’admiration se dégageant d’une salle qui retient son souffle. Une ligne de basse simple et une mélodie à la main droite aux tonalités cristallines qui nous transporte dans un songe évocateur. La brièveté de la dernière note du mouvement signale la fin de la rêverie et le retour à un thème plus enjoué et jovial soutenu par le mode majeur. Les nombreux ornements jouent le jeu d’une partition mozartienne virtuose, interprétée avec justesse et distinction par le soliste. Après une longue cadence au piano, le final ravit les spectateurs qui en appellent à trois reprises le soliste sur scène.

C’est pour notre plus grand bonheur qu’il interprétera en bis le peu connu, mais non moins sublime Prélude de César Franck dans une conception pour piano du Prélude, Fugue et Variation originellement composé pour orgue et dédié à Camille Saint-Saëns. C’est en toute humilité et élégance, à l’image de son jeu, que Jonathan Fournel a répondu aux questions d’Hannah Starman à la suite du concert.

Le Bourgeois Gentilhomme de Strauss, un final radieux

L’entracte passé, l’Orchestre de chambre de Paris est prêt à finir la soirée en beauté en interprétant la suite pour orchestre Le Bourgeois gentilhomme, op.60b de Richard Strauss. Après l’échec d’un projet à quatre mains avec l’écrivain Hugo von Hofmannsthal, Le Bourgeois gentilhomme de Strauss est adapté en suite pour orchestre en 1919. Neuf tableaux se succèdent, de l’Ouverture au Dîner, dans un air néo-classique qui emprunte quelques traits et mélodies à la partition originelle de Lully.

Difficile de ne pas être happé par la prestance de Deborah Nemtanu au premier violon qui semble tout aussi habitée par son propre jeu que par celui de l’orchestre qui lui répond. Le Strauss berliozien lui reprend son travail méticuleux sur l’enchevêtrement des timbres des instruments. Les sonorités se mêlent et se complexifient ici et là et trouvent leur expression singulière dans une danse des archets et des sourdines, aussi plaisante pour les yeux que pour les oreilles. Modifiant l’atmosphère, le spectateur voyage successivement dans l’univers classique de Lully dans le jeu des cordes, mais dans le même temps, les dissonances des vents et imprévus de la partition notamment dans le dernier tableau Le dîner, créent la surprise et témoignent aussi bien de la modernité du compositeur que de la justesse d’interprétation de l’Orchestre de chambre de Paris. En toute élégance et respect, le chef Thomas Dausgaard s’éclipse presque et laisse la place aux parties solistes afin de mener la cadence, notamment lors du magnifique solo de violoncelle où l’émotion était tout aussi présente sur le visage du chef que dans celle du reste de l’orchestre et de la salle, lors du tableau final.

Dans les loges, un orchestre aussi soudé musicalement qu’amicalement, autour d’une partie d’échecs ou d’une galette des rois, les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris, brillamment accompagnés de Jonathan Fournel, n’ont pas fini de nous impressionner et de sublimer le répertoire classique, pour notre plus grand plaisir.

 

Visuel : © Joachim Bertrand

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Eleonore Carbajo

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