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Le Festival de Colmar au carrefour de l’Europe musicale

Le Festival de Colmar au carrefour de l’Europe musicale

11 July 2019 | PAR Gilles Charlassier

Conçu comme un hommage à Claudio Abbado, la 31ème édition du Festival international de musique de Colmar célèbre également le répertoire de chambre, dans une traversée de l’Europe musicale depuis la France jusqu’en Russie, en passant par le monde germanique. Notre escale du 8 juillet en témoigne.

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Depuis quatre décennies, le Festival de Colmar met l’Alsace au diapason de la musique, sous la houlette de Vladimir Spivakov depuis 1989. Si l’orchestre est naturellement à l’honneur – et l’hommage rendu à Claudio Abbado pour cette édition 2019, cinq ans après la disparition du maestro italien, ne le contredira pas –, le répertoire chambriste n’est nullement négligé, et c’est sous le signe de ces formes plus intimistes que sera placé notre escale, au fil des trois salles investies par le festival, chacune ayant son horaire consacré.

Entre la gare et le centre-ville, la Chapelle Saint-Pierre est le rendez-vous des concerts de fin d’après-midi, à 18h15. En ce lundi 8 juillet, le Quatuor Strada ouvre avec l’unique mouvement du Douzième Quatuor à cordes en ut mineur de Schubert. Au premier violon, Pierre Fouchenneret fait vibrer une fébrilité mélodique tourmentée, secondée par la pulsation du violoncelle de François Salque, et l’accompagnement feutré du violon de Sarah Nemtanu et de l’alto de Lise Berthaud. Si cette formation de solistes ne répond peut-être pas, de prime abord, à l’archétype du quatuor, les rôles ne sont nullement fixés, et chacune des trois pièces du concert seront données dans une disposition différente, mettant ainsi en valeur des équilibres renouvelés, au gré des styles et des inspirations. Après l’introspection à l’allure de confession du Schubert, le Langsamer Statz de Webern fait respirer une belle patine homogène, qui rend justice à l’écriture encore post-romantique d’un compositeur associé à l’austérité dodécaphonique, dans sa version la plus épurée. Quant au Troisième Quatuor en si bémol majeur de Brahms, il met en évidence une belle complicité entre les quatre musiciens, au service d’une texture généreuse nourrie par une dramatisation bien articulée.

Le soir, l’Eglise Saint-Mathieu réunit les mélomanes pour les affiches les plus prestigieuses. Si l’Orchestre national Philharmonique de Russie – et Spivakov, même si celui-ci ne se garde par l’exclusivité de la baguette – se taille la part du lion, la vaste nef n’oublie pas le récital soliste, et avec Grigory Sokolov, c’est l’un des plus grands noms du piano d’aujourd’hui que l’on nous réserve, sous le signe de deux des plus grands génies du Romantisme allemand. Ecrite alors qu’il n’avait que vingt-six ans, la Troisième Sonate de Beethoven porte certes l’empreinte de son maître Haydn, mais déjà, aussi, une originalité reconnaissable. L’Allegro con brio fourmille de sensibilité, qui n’oublie jamais la clarté formelle, développée avec un naturel baigné dans une intimité expressive que l’on retrouve dans l’intensité méditative de l’Adagio. La pulsation versatile du Scherzo et l’allant du finale affirment une belle économie qui ne cède jamais à la superficialité virtuose. A l’autre extrémité du corpus beethovénien, les Onze nouvelles Bagatelles opus 119 de la dernière maturité prolongent cette sobre profondeur de jeu. Le kaléidoscope de miniatures respire la proximité des ultimes sonates – en particulier dans les trilles extatiques – dans une lecture qui donne toute la mesure d’un cycle où se condense une veine hors des modes de son temps.

Après l’entracte, les deux recueils de Klavierstücke, opus 118 et opus 119, de Brahms, confirment le voile crépusculaire que d’aucuns devinent dans la décantation de Sokolov. Les teintes automnales des dix morceaux s’y prêtent au demeurant remarquablement. Outre les sept pièces simplement intitulées Intermezzo, la Ballade du premier cahier ne néglige pas un certain frémissement inquiet, quand la Romance témoigne d’une tendresse qui affleure dans l’ensemble des deux cycles. La robuste Rhapsodie finale offre un subtil alliage entre puissance et résignation, au diapason de l’inspiration du vieux Brahms. Comme c’est l’usage avec Grigory Sokolov, les bis tiennent presque lieu de troisième partie de concert, tant ils sont généreux – six ce lundi soir. Le Deuxième Intermezzo opus 142 de Schubert déploie une fluidité à fleur de peau, qui imposera un balancement parfois iconoclaste à la Danse des sauvages de Rameau, aux halos très pianistiques. Une Mazurka de Chopin et le Deuxième Intermezzo opus 117 de Brahms caresseront une délicate mélancolie, avant les irisations d’une Etude de Rachmaninov, et un thème à l’allure populaire que l’on devinerait puisé dans la production cinématographique de Chostakovitch.

Enfin, à l’heure du déjeuner, l’ancienne Douane accueille les concerts de midi et demie. En ce mardi 9, Alexandra Conunova et Michail Lifits confrontent les répertoires français et russes, dans l’esprit même du festival de Colmar. La Deuxième Sonate pour violon et piano de Ravel est servie par la nervosité de l’archet de la Russe, au phrasé ample, soutenu par un clavier nourri, l’un et l’autre nullement effrayés par les difficultés techniques de la partition, tant dans le Blues chaloupé que le Perpetuum mobile étourdissant. Non dénuée de lyrisme, la Sonate de Debussy met également en valeur les moyens d’un duo qui s’épanouiront dans une Deuxième Sonate de Prokofiev admirablement caractérisée, conclusion à un programme roboratif. L’Alsace n’a pas peur des appétits musicaux.

Gilles Charlassier

Festival international de musique de Colmar, juillet 2019

©Bernard Fruhinsholz

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