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Sur les traces de la ballade et de Chopin à 1001 notes

Sur les traces de la ballade et de Chopin à 1001 notes

04 August 2021 | PAR Gilles Charlassier

Après une année 2020 où il n’avait pas baissé les bras, et adapté sa programmation sur une semaine et un site unique, à Saint-Priest-Taurion, le Festival 1001 notes en Limousin rayonne à nouveau autour de Limoges, sans pour autant oublier la métropole, où, dans les jardins de l’Evêché se tient toute la seconde moitié de ce cru 2021. Gaspard Dehaene y donne un récital le lundi 2 août, avec un voyage musical autour de Chopin et de la ballade construit avec une rare intelligence narrative, que l’on entend dans le jeu du soliste français.

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Au-delà de la pluralité des sites associé au patrimoine de Limoges et ses environs, le Festival 1001 notes propose une diversité de répertoires et de formats invitant à chaque fois à un voyage musical. Le récital de Gaspard Dehaene dans la Cour d’honneur du palais de l’Evêché de Limoges en offre une remarquable illustration. Avec des pièces parfois en marge des catalogues et une approche un peu à l’écart des schémas académiques, le pianiste français esquisse une généalogie de parentés autour de la ballade et de Chopin, avec un rare talent narratif, dans la présentation, mais surtout dans le jeu.

Tiré du deuxième livre de la somme Le clavier bien tempéré, le Prélude et fugue en si bémol mineur BWV 891 de Bach semble, a priori, avec sa concentration polyphonique, assez éloigné de l’univers de Chopin. Pourtant, ce dernier, comme tous les compositeurs, n’a pas manqué d’être nourri par l’oeuvre du Cantor de Leipzig. Et avec un toucher sobre, attentif à , et d’une économie absolue en adjuvants techniques, Gaspard Dehaene favorise la lisibilité contrapuntique, sans renoncer à la fluidité de la ligne de chant. Cette retenue se retrouve dans le Rondo en la mineur K 511 de Mozart, où affleure une délicate mélancolie, distillée avec tact au détour des modulations. La versatilité évanescente des émotions est esquissée avec une délicate réserve qui façonne un récit décanté mais jamais minimaliste. Page en marge du catalogue d’opus de Beethoven conçue initialement pour être le deuxième mouvement de la Sonate n°21 en do majeur Waldstein, l’Andante grazioso con moto en fa majeur WoO 57 dit Andante favori, décline un kaléidoscope de variations que Gaspard Dahaene fait vivre avec souplesse, en particulier dans des contre-chants à la main gauche qui accompagnent de manière aérée et lumineuse les métamorphoses du canevas thématique. Si les attaques de la Mélodie hongroise en si mineur D 817 de Schubert sont mises en évidence, c’est d’abord pour restituer les ressources évocatrices de la dynamique dansante de la pièce, dans laquelle on reconnaît l’attention à la netteté du dessin mélodique du soliste français.

C’est avec les Trois mazurkas op. 63 que ce dernier aborde Chopin, après ce large préambule d’affinités électives nourri d’une singulière intelligence. L’approche de ces trois miniatures contrastes affirme une continuité avec la page schubertienne. La carrure de la n°1 en si majeur est ciselée avec une distinction que l’on retrouve dans la n°2 en fa mineur, tandis que la n°3 en ut dièse mineur s’épanche avec une fluidité toute en rubato contenu. La Barcarolle en fa dièse majeur op. 60 confirme ce sens du rythme et de la forme qui évite tout galvaudage et restitue la noblesse de l’inspiration de Chopin jusque dans les numéros les plus célèbres. Après une introduction rappelant sa source littéraire – Les trois Budrys de Mickiewicz, l’un des plus grands poètes polonais sinon européen – la Ballade n°4 en fa mineur op. 52 déploie avec une sensibilité et une lisibilité exceptionnelles l’entrelacs des voix narratives, sans avoir besoin de recourir à aucun artifice rhétorique. Toute la quintessence de l’art de Chopin, où l’évocation s’inscrit uniquement dans le développement formel, sans préliminaire programmatique, se trouve résumée dans cette lecture qui refuse toute pose ou affectation. Cet exemple de raffinement où le contrôle instrumental s’appelle simplicité et évidence illumine les deux bis, choisis avec la même acuité que le reste du florilège : la Fantaisie-impromptu en do dièse mineur op. 66 et la Valse op. 69 n°1 dite Valse de l’adieu. Les mélomanes pourront retrouver l’affinité de Gaspard Dehaene avec l’univers chopinien avec l’enregistrement édité par le label 1001 notes – lequel depuis 2009 accompagne les jeunes musiciens – qui sortira cet hiver. La complémentarité du disque et du concert ne se boude pas devant la richesse poétique d’un Gaspard Dehaene, dont l’apparente modestie cache une rare sincérité artistique.

Gilles Charlassier

Festival 1001 notes en Limousin, concert du 2 août, Cour d’honneur de l’Evêché, Limoges, festival du 24 juillet au 7 août 2021

© Laurent Bugnet

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