Kaija Saariaho, Sibelius et Berlioz à la Philharmonie de Paris

Ce mercredi 1er mars, c’est une programmation à rebours que propose Klaus Mäkelä, à la tête de l’Orchestre de Paris. Une belle exploration du lien entre l’homme et le monde qui l’entoure, mystérieux, parfois lointain, mais surtout immense et insondable. 

Le Ciel d’hiver de Kaija Saariaho 

C’est avec un extrait d’une œuvre contemporaine que commence la programmation. Kaija Saariaho a impressionné la scène musicale à plusieurs reprises, comme en témoignent ses nombreux prix. D’origine finlandaise, la compositrice révèle son style dissonant et obsessionnel, dont la force se dévoile peu à peu au fil des solos qu’accompagnent de denses nappes sonores. 

Kaija Saariaho nous emmène dans un monde brumeux et glacial. Il est difficile d’y distinguer les formes tant les différentes voix de l’orchestre se fondent en un même murmure. Quelques instruments se détachent. Des crescendo très subtils donnent un ton menaçant à l’ensemble. Ciel d’hiver est un extrait de la pièce Orion, qui se réfère à la constellation et au mythe du chasseur, fils de Poséidon. Des liens qui trouvent ici leur sens, car le spectateur a l’impression d’être tapis dans l’ombre. 

La délicatesse de Klaus Mäkelä correspond parfaitement à cette œuvre raffinée et intemporelle. Les échos au Requiem de Tommasi inspirent un vague sentiment de crainte, mais si la nuit est profonde, elle est aussi calme et apaisante. 

Janine Jansen et Sibelius, une relation fusionnelle 

Difficile de trouver une meilleure interprète que Janine Jansen pour le plus célèbre concerto de Sibelius. C’est un chant de passions et de douleur qui jaillit dès les premières mesures et semble dévorer la violoniste. Sa grande théâtralité sur scène renforce le caractère dramatique de l’oeuvre qu’elle interprète. 

Le concerto de Sibelius explore toutes les ressources que peut avoir le violon pour exprimer la souffrance. Si le premier mouvement parait sombrer dans la folie, le second est empreint d’une mélancolie profonde avec laquelle contraste l’affolement du troisième mouvement. Les arpèges incessants et virtuoses et le retour obsessionnel des mêmes thèmes sont comme une éternelle question posée au monde, avec une aspiration viscérale à quelque chose de plus haut. Janine Jansen incarne avec puissance cette symphonie des profondeurs de l’âme. 

Le contraste est intéressant avec la personnalité de Klaus Mäkelä qui, jusque dans les moments les plus douloureux, dirige l’orchestre avec un style aérien et gracieux. Comme l’idéal à atteindre pour un être tourmenté. 

Symphonie fantastique, entre rêve et réalité 

La Philharmonie a fait le choix d’un immense monument pour clore ce programme déjà intense. La Symphonie fantastique, c’est l’arrivée du style narratif dans l’orchestre, un bouleversement majeur des codes de la composition au moment où la France se réinvente sous toutes ses formes. 

Tout est entre rêve et réalité. L’histoire est lointaine, onirique, pourtant ressentie et vécue par chaque auditeur. Berlioz emmène sans cesse là où on ne s’y attendait pas, dans un monde stupéfiant où l’on peine à savoir ce qui relève du songe ou non. 

Les deux premiers mouvements sont interprétés avec une grande élégance et solennité. Klaus Mäkelä sait ménager les effets sonores de l’orchestre pour leur donner toute leur puissance. Il dirige les musiciens avec beaucoup de légèreté et de mesure. Sa vivacité se ressent dans le rythme haletant du second mouvement. 

Le troisième mouvement est plus lyrique et évanescent. Différents solos se succèdent, le cor anglais et le hautbois sont à l’honneur avec deux duos qui brillent par leur expressivité et leur souplesse. Pourtant, ce mouvement perd en beauté par une certaine sécheresse, il est difficile de maintenir une continuité fluide entre les différents pupitres dont la partition fait des morceaux épars. 

De manière générale, l’orchestre interprète la symphonie avec de clarté et de netteté. Les deux derniers mouvements, qui sont les plus spectaculaires, témoignent de la virtuosité des musiciens de l’orchestre. La Marche au supplice est un face à face avec un sort inexorable vers lequel les musiciens nous conduisent avec détermination. Suite à la tragédie, le Dies irae de l’ultime mouvement et ses intonations sorcières semblent un purgatoire. Une place d’honneur est faite aux percussions qui, jointes aux cuivres, imposent toute la force d’une réalité qui dépasse l’entendement.  

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Klaus Mäkelä émerveille et enchante par ces couleurs qu’il donne aux compositions les plus dramatiques. C’est peut-être dans ce contraste que ses interprétations trouvent toute leur force. 

Visuel : Klaus Mäkelä, Concert du 12 juillet 2020 à la Philharmonie de Paris, © Mathias Benguigui.