Classique
Concerto pour kora, Ballaké Sissoko et Shaker Loops : un brassage étonnant et plutôt réussi

Concerto pour kora, Ballaké Sissoko et Shaker Loops : un brassage étonnant et plutôt réussi

06 May 2023 | PAR Hannah Starman

Ce vendredi 5 mai, devant l’auditorium comble de la Maison de la radio, le public découvre le Concerto pour kora de Zad Moultaka, écrit pour le grand maître de la kora, Ballaké Sissoko, suivi d’une improvisation solo de la vedette malienne. Dans la deuxième partie, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, sous la direction du chef hongrois Gergely Madaras, interprétera Shaker Loops pour orchestre à cordes de John Adams. La programmation qui réunit, dans une même soirée, l’improvisation minimaliste de Ballaké Sissoko et l’œuvre emblématique de John Adams, est plutôt réussie. En revanche, le mariage entre la kora et l’orchestre peine à convaincre.

Création mondiale du Concerto pour kora de Zad Moultaka

Commandé par Radio France, le Concerto pour kora est né d’une rencontre entre le compositeur libanais Zad Moultaka et le directeur de la musique et de la création de Radio France et grand connaisseur des musiques africaines, Michel Orier. Ce dernier propose à Moultaka de travailler avec Ballaké Sissoko, le virtuose de kora, harpe mandingue de l’Afrique de l’Ouest. Joueur de kora de père en fils depuis des générations, Sissoko ne lit pas la musique. Pendant le concert, Zad Moultaka sera assis à côté de Sissoko et lui donnera de petits gestes d’entraînement. Le compositeur explique que sa composition voulait “créer un espace dans lequel on puisse se retrouver et dans lequel il puisse improviser, car l’improvisation est au cœur de son approche musicale.” Le défi consiste à établir un dialogue enrichissant entre un orchestre symphonique et un instrument aux sonorités aussi complètes que la kora, sans enfermer le joueur de kora dans un cadre trop rigide. 

Pour relever ce défi, le compositeur imaginera une structure qui confie certains passages à la kora, avec l’orchestre qui l’accompagne discrètement. La musique orchestrale classique aux couleurs dépaysantes, marquée par une souplesse métrique, rythmique et mélodique apporte une belle fraîcheur et le jeu de Sissoko est riche et habile, mais la rencontre ne se fait pas vraiment. Poussés à la marge de leur zone de confort, les musiciens sur scène explorent pendant vingt minutes, avec application et curiosité, la dimension expérimentale de la forme qui reste assez classique, mais leurs efforts peinent à convaincre le public. Les amateurs de musique classique occidentale auraient finalement préféré garder juste la partie orchestrale, tandis que les inconditionnels de kora trouvent l’orchestre franchement superflu. Les applaudissements sont chaleureux, mais le public attend surtout la suite du programme.

Improvisation de Ballaké Sissoko

Les amateurs de kora savoureront l’improvisation de Ballaké Sissoko. Certains feront fi de l’interdiction de filmer et ils ne se gêneront pas pour tenir leurs téléphones au-dessus des têtes des voisins pour mieux capter la star malienne. Vêtu d’un boubou blanc et coiffé d’un chapeau traditionnel rouge, Ballaké Sissoko joue deux morceaux, démontrant son admirable technique dans un jeu minimaliste et resserré. Quelques passages “s’envolent,” plus amples, plus libres et laissent entrevoir l’incroyable puissance de cet instrument, fabriqué avec une demi-calebasse recouverte de peau du bœuf. Le manche, fait de bois de palissandre, assure la tension des 21 cordes, faites des fils de pêche ou de boyaux d’antilopes ou de mouton.

Né en 1967 à Bamako, Ballaké Sissoko est un musicien-conteur de la culture mandingue, issue d’une lignée de musiciens. Son père, Djelimady Sissoko, avait appris la kora en Gambie, et son grand-père maternel jouait du même instrument en Casamance, dans le sud du Sénégal. Pourtant, Ballaké Sissoko est autodidacte, car son père ne souhaitait pas qu’il devienne musicien. “J’ai appris seul : quand il quittait la maison, j’allais dans sa chambre en cachette et je jouais avec son instrument…” raconte-t-il à François-Xavier Gomez en 2012. Suite à la mort de son père, alors qu’il n’a que treize ans, il le remplace en tant que son premier fils, à l’Ensemble instrumental de Mali. “J’étais fonctionnaire à 13 ans, raconte Ballaké. Nous étions une cinquantaine de membres et jouions au palais présidentiel pour les réceptions officielles. Il nous arrivait également d’accompagner à l’étranger notre sélection de football.” Aujourd’hui, Ballaké Sissoko joue dans le monde entier et collabore avec de nombreux artistes de toutes les traditions, notamment avec le violoncelliste français Vincent Ségal, le clarinettiste Patrick Messina, mais aussi avec les chanteurs Sting, Vanessa Paradis, Cesária Évora, Piers Faccini et le rappeur malien, Oxmo Puccino.

Son passé de fonctionnaire semble avoir laissé quelques traces chez le virtuose de kora, car malgré des applaudissements insistants, Ballaké Sissoko ne retourne sur scène que pour prendre son tabouret. Il n’est pas question d’offrir le moindre bis à ses auditeurs émerveilles.

Shaker Loops pour orchestre à cordes de John Adams

Le programme se poursuit sans entracte avec l’œuvre-phare de la musique minimaliste du compositeur vivant le plus joué au monde. John Adams compose, Shaker Loops à l’automne 1978 pour un septuor à cordes et l’adapte pour orchestre en 1983, après la création de l’imposant Harmonium pour chœur et orchestre en 1981. L’œuvre qui rend hommage aux Shakers, la branche protestante fondée en 1747, repose sur une “répétition indéfinie de petites cellules rythmiques-mélodiques” qui tournent en boucle et auxquelles s’ajoutent progressivement de nouveaux motifs. Inspiré des danses vives des Shakers, Adams écrit une œuvre en quatre mouvements d’une vitalité exubérante qui prend comme repère fondamental la pulsation, ponctuée par des variations et des petites perturbations rythmiques. Cette approche permet une plus grande liberté de mouvement d’un niveau d’énergie à l’autre, rendant ainsi la forme plus dramatique.

Les quatre parties se caractérisant chacune par un style particulier de maniement des cordes, allant du “secouement”, rapide déplacement très rythmé de l’archet sur les cordes au premier mouvement (Shaking and Trembling), à la danse finale des archets sur les cordes (A Final Shaking), en passant par des de langoureux glissandos au deuxième mouvement (Hymning Slews) et de sublimes lignes lyriques des violoncelles au troisième (Loops and Verses). Sous la direction du remarquable Gergely Madaras, les cordes de l’Orchestre de Radio France et le premier violon Nathan Mierdl nous ont offert une interprétation ciselée et vibrante d’une grande œuvre du minimalisme américain.

Même si la rencontre entre l’orchestre et la kora n’était pas tout à fait à la hauteur des attentes, le concert était ovationné par les auditeurs satisfaits de leur soirée. Car la programmation innovatrice et habile a permis une vraie rencontre entre les fans de Sissoko, les connaisseurs de la musique de l’Afrique de l’Ouest et de kora en particulier et les amateurs de la musique classique contemporaine. Voilà une belle réussite !

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Hannah Starman

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