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Beatrice et Ludovica Rana en duo au Festival de Saint-Denis

Beatrice et Ludovica Rana en duo au Festival de Saint-Denis

16 June 2021 | PAR Victoria Okada

Si la pianiste italienne Beatrice Rana est aujourd’hui connue de tous les mélomanes comme une interprète hors norme, sa sœur violoncelliste Ludovica Rana ne bénéficie pas encore en France de la même notoriété. Et pourtant, son talent la hisse au premier plan international. Ce concert au Festival de Saint-Denis, près de Paris, était donc une des rares occasions de les entendre ensemble et d’apprécier leur superbe complicité.

Propulsée au-devant de la scène depuis une dizaine d’années, Beatrice Rana compte actuellement parmi les pianistes les plus actifs sur la planète. Et malgré le nombre impressionnant de récitals et concerts qu’elle donne, la qualité de son interprétation, de très haute volée, reste incroyablement constante. En France, elle commence enfin à se produire avec de grandes formations orchestrales, alors que jusqu’alors, c’était surtout en récital qu’on l’entendait. Et lorsque nous prenons connaissance de ses concerts avec sa sœur violoncelliste ça et là en Europe, nous en étions quelque peu jaloux car curieusement, la France ne s’intéressait pas autant à Ludovica, surtout à Paris.
C’est désormais chose réparée : le Festival de Saint-Denis les a invitées toutes les deux pour un récital commun à la Salle des Mariages de l’Hôtel de Ville.

La Suite anglaise pleine de volonté

Le soleil couchant est encore ardent et ses derniers rayons radieux entraient tout droit dans la salle, les stores sur une grande baie vitrée semblaient eux aussi éblouis par la chaleur estivale de l’astre. Comme pour prendre le relais du feu solaire, Beatrice Rana entre sur scène, vêtu d’une robe-pantalon rouge vif. Elle commence aussitôt la Suite anglaise n° 2 BWV 813 de J.-S. Bach. Son jeu, symphonique, avec des plans sonores multiples, rend la partition extrêmement vivante et actuelle. À la Courante énergique, parfois avec une violence parfaitement contrôlée, se succède une Sarabande romantique à un sens dramatique avéré. L’Air, le Menuet et la Gigue qui suivent sont davantage remplis de théâtralité. Léger et consistant à la fois, Certains phrasés de l’Air prend un véritable relief grâce à un crescendo suivi d’un decrescendo ; le Menuet est dans un tempo bien régulier mais profondément expressif, où la pianiste insuffle une vie à chaque note. La Gigue, immédiatement enchaînée, progresse avec une volonté ferme. Elle s’affirme dans son interprétation qui a la force de convaincre.

Le premier cahier d’Études : Debussy solaire

Le caractère symphonique et le relief, deux des caractéristiques les plus évidents de Beatrice Rana, sont bien audibles dans le premier cahier d’Étude de Debussy, tout particulièrement dans les deux dernières pièces : « Pour les octaves » et « Pour les huit doigts ». Elle joue certaines notes en dehors avec une densité si surprenante et une palette sonore si colorée, que cela fait même penser à la période parisienne de Stravinsky ! Mais l’intensité colorée n’est pas la seule arme de la pianiste. Elle sait suspendre le son, voire le silence, comme elle l’a réalisé dans le troisième Étude « Pour les quartes », notamment tout à la fin. Ici, c’est le temps qu’elle suspend entre les notes. La flexibilité — du tempo, du timbre et des couleurs (« Pour les sixtes » où on se régale de ces cascades de notes !) — est également l’un de ses points forts.

Deux musiciennes fusionnelles sans être dépendantes

C’est dans la deuxième partie, dans ce programme sans entracte, que Ludovica entre sur scène. Dans la Fantaisie pour violoncelle et piano en sol mineur de Fanny Mendelssohn, le thème de l’introduction au violoncelle évoque littéralement celui du mouvement lent du Quatuor n° 7 de Beethoven. L’influence de Beethoven y est d’ailleurs largement perceptible. Composée par une adolescente de 15 ans, la pièce serait qualifiée « de salon » mais laisse transparaître son génie, avec une tension théâtrale évidente que Ludovica Rana rend avec justesse. Vient ensuite la Sonate pour violoncelle n° 2 de son frère Félix. La violoncelliste possède une belle sonorité riche et profonde, ainsi qu’une forte volonté musicale, tout comme Beatrice. Ensemble, les deux sœurs offrent un Mendelssohn à la fois élégant et vigoureux, voire viril, avec des recherches dans les contre-mélodies, dans la manière de rendre les harmonies intense, et dans des détails de théâtralité — toujours ! — à laquelle l’on ne prête pas forcément attention. Le contraste traverse tout au long de leurs interprétations, entre la joie manifeste du premier mouvement, un certain sentiment d’urgence du deuxième mouvement, le récit(atif) expressif du troisième mouvement associé à une chorale traité avec un caractère romantique et symphonique (dans l’exposition au piano), et enfin, un tourbillon frais et juvénile du final. À chaque mouvement, Ludovica Rana est éblouissante de virtuosité et d’expressivité, en parfaite phase avec le piano.

Elles sont fusionnelles sans être dépendantes. Il s’agit bien d’une complicité musicale à haute portée, qu’on n’entendrait pas aussi souvent ailleurs. Maintenant, on n’espère qu’une chose : Organisateurs, invitez en France Ludovica et Beatrice ensemble, en plus de leurs récitals en solo !

Photo © V.O. 

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Victoria Okada

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