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{Live-report} “Hallucinations collectives” Jour 2 – Jess Franco, Louis Malle, Paul Verhoeven

{Live-report} “Hallucinations collectives” Jour 2 – Jess Franco, Louis Malle, Paul Verhoeven

24 March 2016 | PAR Laurent Deburge

Pour le début de la programmation de rétrospective du Festival Hallucinations Collectives de Lyon, c’est Jess Franco, cinéaste espagnol horrifique et érotique autant que prolifique (200 films !), mort en 2013, qui ouvre le bal avec Les inassouvies, une adaptation plutôt fidèle de la Philosophie dans le Boudoir du « Divin marquis ».

Est-ce un choix judicieux ? Initiation érotique et violente d’une jeune fille par un groupe de meurtriers jouisseurs, le film est nimbé d’un flou qui n’a par moments rien d’artistique, que le générique nébuleux tente d’imposer comme norme. On y voit, souvent, de la nudité et du sang, et un Christopher Lee à la diction toujours parfaite, qui semble s’être fourvoyé dans un pensum ou l’ennui finit par prendre le pas sur l’excitation. J’ai pour ma part apprécié le final kitschissime ou la novice éplorée court nue dans les dunes et sur la grève, enfermée sur une Île des morts laissant voir au loin les infrastructures industrielles d’une civilisation plus morbide encore. Il faudra piocher à nouveau dans la filmographie de Jess Franco pour se faire une idée plus ample de son œuvre. Heureusement, l’ouvrage-monstre d’Alain Petit, Jess Franco ou les prospérités du bis, sorti en 2015 chez artus films, est une somme permettant de se guider à travers une œuvre foisonnante, baroque et ludique.

L’après-midi se prolongeait par la découverte d’une œuvre rare et éminemment singulière, l’onirique Black Moon, signé en 1975 par rien moins que Louis Malle, le réalisateur d’Ascenseur pour l’échafaud, Les Amants, Lacombe Lucien ou Au-revoir les enfants. Imaginé à partir des rêves notés par le réalisateur, film personnel s’il en est, jusqu’à l’excès, Black Moon est effectivement une plongée dans le monde de l’Arcane 18 du Tarot, intégralement filmé « entre chien et loup », où jamais le soleil n’apparaît bien qu’il ne fasse jamais nuit. Il faut d’entrée de jeu souligner la beauté plastique de la photographie de Sven Nykvist, le chef-opérateur fétiche d’Ingmar Bergman, mais aussi du Locataire de Polanski, du dernier Tarkovski comme du Woody Allen de la fin des années 1980. La lumière s’accroche sur le visage de Lily (Cathryn Harrison, la petite-fille du grand Rex, sans jeu de mots) et sur sa blondeur adolescente avec une grâce infinie. Difficile de résumer l’intrigue de cette relecture de l’Alice de Lewis Caroll, plongée ici au pays d’une guerre étrange opposant les hommes aux femmes, dans une forêt inquiétante qu’elle parcourt au volant d’une petite voiture orange. Arrivée dans une maison isolée traversée par une troupe d’enfants nus jouant avec un immense cochon, elle rencontre une vielle dame un peu folle, l’immense actrice brechtienne Therese Giehse, et un couple incestueux incarné par Alexandra Stewart, compagne de Louis Malle, et Joe Dallessandro, l’égérie d’Andy Warhol. Ainsi que l’annonce le réalisateur par un encart, il faut se laisser prendre par le film sans rechercher la cohérence ni la logique, mais plutôt l’appréhender par les sensations et l’imagination.

blackmoon-eagle

La nature est présente à chaque plan, par la présence d’animaux sauvages ou domestiques, un blaireau, des serpents, un aigle, un chat marchant sur le clavier d’un piano et même une Licorne petite et grasse, l’un des rares interlocuteurs de Lily. Tout y est enivrant. La jeune actrice principale évoque également les héroïnes du peintre Balthus, mais avec moins de nonchalance, et la volonté de comprendre quelque chose dans cet univers silencieux et délirant. La musique y est rare et précieuse : à travers la fenêtre, on entend Joe Dalessandro en jardinier juché sur une échelle, qui entonne le morgenlicht leuchtet du concours de chant des Maîtres chanteurs de Wagner. Mais le moment où le film touche littéralement au sublime est quand deux enfants chantent le duo de Tristan, éclairés à la bougie, accompagnés au piano par la jeune femme, entourés d’un parterre de gamins nus, et des étranges frère et sœur (Stewart et Dallessandro) qui se maquillent et se préparent à une sorte de combat de Tancrède et Clorinde. Black Moon est une expérience de cinéma pur, d’une esthétique fantastique absolument libre, un moment de jouissance visuelle et symbolique ouverte à toutes les interprétations possibles, mais s’en passant aussi fort bien. La liberté d’un réalisateur de films, imprimant ses rêves sur la pellicule.

Louis Malle parle de Black Moon

En soirée, après avoir esquivé l’avant-première de Scare Campaign, un slasher australien prévu pour novembre 2016, je suis revenu pour assister au premier film de la sélection des « curiosités », à savoir Spetters, dernier film néerlandais (1980) du génial Paul Verhoeven. Peut-on se figurer une cinéma plus concret que celui de Verhoeven ? Spetters signifie « éclaboussures » en néerlandais. C’est peu dire que le film est physique, organique, on ne peut plus réaliste. C’est l’histoire d’une bande de garçons fans de moto-cross et subjugués par l’arrivée d’une pulpeuse marchande de frites dans leur bled. Jamais un film n’a autant concentré de critiques et de haine dans son pays que Spetters, qui s’en prend apparemment aux femmes, aux homosexuels, à l’église, à la police… de la manière la plus sale qui soit. Mais derrière la provocation, la charge est profonde. Le rapport des générations, dans la relation de chacun des garçons à leurs pères respectifs, avec le poids de l’église protestante en surplomb, dans un univers de misère sociale, où l’huile de frites se mélange à l’huile de vidange, reste marquant et dérangeant, sur le malaise de la jeunesse et le délicat passage à l’âge adulte. Certaines scènes seront difficilement soutenables, comme le viol vindicatif d’un jeune homophobe par un groupe d’homosexuels qu’il avait agressés et volés, parce que génialement filmé, de la manière la plus réaliste possible. Verhoeven est un séditieux nécessaire, qui sait se jouer de la censure comme personne. En montrant Spetters, le festival lyonnais permet de mieux comprendre des fondations d’une œuvre majeure du cinéma contemporain.

Bande-annonce de Spetters

Laurent Deburge

Festival Hallucinations Collectives au Cinéma Comoedia, Lyon, jusqu’au 28 mars 2016.

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Laurent Deburge

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