#1. Berlin, centre du monde
Intersection tant géographique que culturelle de l’ouest et de l’est, Berlin serait le cœur palpitant de toutes les Europes. Pourtant la nostalgie des années noires demeure perceptiblement vivace. Encore convalescente, sa fureur de vivre semble nécessaire au processus de rééducation conséquent à sa longue fracture.
Une semaine à peine après mon arrivée, me voilà déjà embarquée pour une soirée dont j’ignore béatement le contenu, dans l’un des squats bien connus de la ville, Tacheles. Immense bâtisse qui fut jadis un grand magasin, des artistes de tous bords ont investi ses ruines afin d’en faire un lieu de référence de la culture alternative.
Dédiée aux arts plastiques aussi bien qu’au spectacle vivant, Tacheles possède son propre théâtre, où se tient ce soir-là une démonstration de méthode Grinberg. Technique somatique visant à améliorer le bien-être par l’improvisation de mouvement, la méthode Grinberg, inconnue chez nous au bataillon, fait un tabac outre-Rhin, comme la plupart des thérapies alternatives. Un groupe de milanais se déchaîne sur scène pendant plus d’une heure, puis c’est au tour du public de laisser son corps s’exprimer. En quelques secondes, la quasi-totalité du public déferle sur scène sans se poser de questions, avec un enthousiasme qui surprend la Française en moi.
A l’unisson, des individus de tous horizons se mélangent, uniquement reliés par le rythme qui les porte. Une énergie incroyable se dégage, au-delà de laquelle surgit en moi un sentiment que je n’ai pas souvent connu : la liberté totale. La sensation est si grisante et simple que j’en suis étonnée : pourquoi, brutalement, dans ce contexte quelque peu saugrenu, ai-je l’impression que je peux être qui je veux ? Tous ces gens qui gesticulent autour de moi avec d’improbables looks que les parisiens qualifieraient d’erreur de jugement, ont l’air d’être pleinement qui ils veulent, en toute simplicité. Le choc est réel de réaliser que je ne me suis jamais sentie ainsi auparavant. Je m’ose à faire des tentatives chorégraphiques excentriques, personne ne me regarde de traviole : quel bonheur ! Je respire avec plus d’aisance que d’habitude, détendue, je me sens mieux que jamais au milieu de mes bariolés congénères dont je ne connais rien et pourtant tout, tant le sentiment de communion est fort en cet instant.
C’est ici que souffle le vent de liberté que j’ai cherché partout, épicentre d’une vague de vie violemment créatrice. Euphorie collective.
Je me sens au centre du monde.
Arthouse Tacheles, 54-56 Oranienburgerstrasse, Berlin – Métro : Oranienburgerstrasse
Prochaine démonstration de méthode Grinberg le lundi 12 avril 2010 à 19h30 – Entrée 5 euros