« Vernon Subutex 1 » : sous le scalpel vibrant de Virginie Despentes
Sulfureuse, provocatrice, pornographique, déjantée, punk… autant de qualificatifs lus et relus à propos de Virginie Despentes. Puis le temps a passé, et une voix s’est imposée, couronnée par un prix Renaudot en 2010. Désormais Despentes maîtrise son souffle sur la longueur, et publie le premier volet d’un ouvrage en deux tomes.
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Dissipons de suite un malentendu : si le nom de Houellebecq est parfois rapproché de celui de Despentes, pour la proximité apparente de leur vision cynique sur nos sociétés modernes, force est de constater que l’approche de Despentes se situe aux antipodes, du côté d’un humanisme forcené que rien ne semble pouvoir ébranler, y compris le plus abject.
À travers le déclassement de Vernon alias Subutex, disquaire has-been qui se retrouve peu à peu sur le trottoir, Despentes ouvre au scalpel les vies plus ou moins marginales de son entourage pour en extraire l’essence d’humanité. D’une écriture vive, au plus près de l’oralité, l’auteure s’impose sur la longueur, nous bluffant par son don pour l’empathie. Dans cette plongée en eaux troubles, parfois dégueulasses, le lecteur se trouve happé malgré lui dans le ressenti des personnages en question, de manière organique.
Et de nous dire que, comme son antihéros lorsqu’il subissait malgré lui la logorrhée de ses clients, Despentes a dû passer un certain nombre d’heures à écouter et observer ses congénères, pour pouvoir ainsi se fondre dans leurs vies, au point de savoir décrire par le menu comment tout ce petit monde baise. Quelques bribes de sa propre existence transparaissent d’ailleurs ici-et-là : une virée à Barcelone, un personnage qui se dope à la testostérone, et qui évoque son ancienne compagne, Beatriz Preciado, ou encore le suicide d’une actrice de X, triste reflet de l’histoire de Karen Bach, vue dans Baise-moi.
Saluons encore le travail de la langue, orale, donc, contemporaine, pétrie en profondeur par la musique, nombre de personnages étant assortis de leur propre bande-son, sans oublier la description d’une nuit improbable, entre sexe, session DJ et défonce. On songerait plutôt à Bret Easton Ellis, dans le maniement énergique et efficace de la langue.
Une empathie qui force une vision politique : personne n’est dégueulasse ou immoral chez Despentes, ne reste que le méchant déterminisme social, les mécanismes implacables auxquels nulle individualité ne peut échapper, dans une perspective néo-marxiste dénuée du moindre angélisme.
Vivement la suite…
“Il a le BPM dans le cortex. La fête monte encore d’un cran, on le sent, ça prend, ça prend, ça prend. Janet Jackson, All Nite. Ça commence à fuck fucker, dans les coins, c’est cosmique et c’est crade, tout ce qu’il aime. Les filles sont sèches quand elles sont trop chargées, ça leur fait mal quand on les baise, les gars, faites gaffe à vos prépuces. Ça, il le publie sur Twitter.” p. 218
Vernon Subutex 1, Virginie Despentes, Grasset, 2015, 397 p., 19,90 €