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“Vairon” ou la confirmation d’un immense talent d’écrivaine

“Vairon” ou la confirmation d’un immense talent d’écrivaine

04 February 2019 | PAR Jérôme Avenas

Les Éditions P.O.L publient « Vairon », le deuxième roman d’Hélène Zimmer, révélée en 2017 par l’excellent « Fairy Tale ». À travers le personnage de Zulma, femme du peuple, l’écrivaine évoque les sensibilités anarchistes du début du XXème siècle. Une écriture magistrale pour une réussite totale.

En 1909, Zulma, fille de ferme quitte les Pyrénées pour Paris avec son nourrisson Victor sous le bras. Elle refuse un destin tout tracé de fille-mère méprisée de tous. À L’Œil qui pisse, un café malfamé, elle fait la rencontre d’un homme. Il s’appelle Victor, comme l’enfant de Zulma, il fait partie d’un groupe proche des mouvements anarchistes. Grâce à eux, grâce à Clotilde servante devenue propriétaire, grâce à Tiziano dramaturge de l’avant-garde, Zulma va trouver les moyens d’assurer sa survie et celle de son enfant.

Flèche qui va droit au but, l’écriture d’Hélène Zimmer est tendue comme un arc. Elle frappe dans le mille sans s’embarrasser de détours. La phrase courte, « simple », comme on dit en grammaire, abonde. Le prédicat est souvent réduit à un verbe conjugué au présent. Mais phrase minimale ne veut pas dire écriture « minimaliste ». Le choix des mots semble procéder d’une sélection impitoyable. Tout est dit avec la plus grande précision possible et c’est justement cette finesse qui autorise un grand pouvoir d’évocation. À ce sujet, il en faut du talent pour parvenir à figurer une époque sans devenir accessoiriste, sans le recours facile aux fac-similés et à la bimbeloterie. Hélène Zimmer nous plonge dans le corps d’une femme du peuple au début du XXème siècle sans les truchements habituels. Il suffit d’un détail, une croûte qui saigne sur la nuque, l’évocation de son enfant abouché à son sein, un lange « sale mais sec », un juron vieilli, pour nous plonger, sans faux réalisme, dans des sensations authentiques. L’écrivaine ne cherche pas à « faire époque », mais plutôt à en apprécier le suc à travers ce qu’il nous est toujours possible d’appréhender, de sentir peut-être, d’un temps passé.

C’est le corps de Zulma, soumis à la nécessité, qui est le fil conducteur du livre. Corps qui enfante, qui nourrit, qui éprouve le plaisir, la douleur, le manque. Corps qui agit, d’où l’abondance de verbes qui soutiennent moins des péripéties que l’idée d’une volonté irrépressible. Il s’agit pour Zulma de « vaincre la vie » comme le formulait le XIXème siècle, être plus forte qu’elle, la dominer. Bref, « s’en sortir » comme on l’exprimerait aujourd’hui. Au contact des « presque rien », groupuscule qui ne partage qu’une certaine sensibilité avec les mouvement anarchistes, Zulma se nourrit, écoute : « Pour avoir pratiqué de l’anarchiste, je peux vous dire que les presque rien sont tout de même moins imbéciles que les autres. Moins vaniteux. » Grâce à eux, elle rencontre Denise, sage-femme « retirée de la profession pour divergences de vues avec [s]es employeurs. Médecins. Chirurgiens. Masculins sans exception. Qui manipulent le corps des femmes sans respecter leur anatomie. » Si ces rencontres du hasard sont fondamentales, le roman s’attache moins à une transformation du personnage qu’à l’expression de son énergie. En fait, c’est cela qui nous a profondément touché dans ce roman aussi inclassable que beau : Zulma est une force et le roman en raconte la dynamique.

Hélène Zimmer, Vairon, Éditions P.O.L, janvier 2019, 208 pages, 18 €

 

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