
“Ton père”, de Christophe Honoré : récit de l’homophobie ordinaire
Auteur pour la jeunesse, metteur en scène pour le cinéma et le théâtre, Christophe Honoré a plus d’une corde à son arc. Si ses origines bretonnes et son homosexualité teintent son œuvre en filigrane, il se donne à lire au plus près de l’épiderme dans ce touchant récit illustré.
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La collection Traits et portraits des éditions Mercure de France invite des personnalités à se livrer à l’exercice de l’autoportrait, ponctué d’illustrations choisies par leurs auteurs.
Le titre Ton père pourrait laisser penser qu’Honoré s’apprête à en découdre avec la figure de son père. Or c’est de sa propre paternité dont il est question, en ce qu’elle se tient encore de nos jours hors des conventions d’usage : l’homosexualité n’a jamais induit pour lui l’exclusion de la paternité, qu’il a pu connaître avec une amie hétérosexuelle.
Or ce récit s’ouvre dans la stupeur : alors que tout allait pour le mieux dans cette configuration familiale d’un nouveau genre admise par l’entourage des deux familles, l’auteur voit son monde vaciller lorsqu’un mauvais plaisantin vient mettre en doute ses certitudes en épinglant ce simple mot sur sa porte : “Guerre et Paix : contrepèterie douteuse”. Et voilà que tout à coup, il se voit ébranlé dans sa légitimité de père homosexuel par le monde qui l’entoure, sans armes autres que la tendresse pour protéger sa propre fille.
Et lui reviennent alors à l’esprit tous ces petits riens, ces mots dérisoires, ces couleuvres avalées sans sourciller depuis l’adolescence, cette homophobie ordinaire contre laquelle il pensait s’être blindé avec le temps, et qui, découvre-t-il, sape au contraire les fondements de son être depuis qu’il s’appartient en toute conscience.
Son récit nous touche par sa violence sourde, et dresse le portrait d’un homme en proie au doute, mais qui ne baisse pas les bras. Comme en contrepoint, il révèle dans le même temps les personnalités littéraires et cinématographiques qui l’ont soutenu jusqu’ici. Outre quelques clichés personnels, le récit est ainsi ponctué des portraits en noir et blanc de grandes figures des lettres, du cinéma et du théâtre dont le propre rapport à l’homosexualité et au fléau du sida ont contribué à forger sa personnalité en lui apportant réconfort et nourriture intellectuelle : d’Hervé Guibert à Robert Mapplethorpe, en passant par Serge Daney et Bernard-Marie Koltès.
Au-delà du caractère intime de ces confessions, la portée universelle du récit déjoue les mécanismes des dominations en tout genre, qui pourraient aisément se transposer à d’autres minorités contestées dans leur intégrité, comme les femmes ou les minorités ethniques.
“Et je pense au soir où j’ai proposé à cette femme de devenir parent avec moi. Ce n’était pas rien que cette demande, aussi émouvante et inquiète qu’une demande en mariage, mais aussi plus solennelle, plus folle, plus insolente. Et je me dis qu’il a fallu une assurance, un esprit de vraie liberté à cette femme pour me dire oui.” p. 120
Ton père, Christophe Honoré, éditions Mercure de France, collection “Traits et portraits”, 192 p., 19€, à paraître le 7 septembre 2017.