
Susan Sontag sous les cendres du Vésuve
De Susan Sontag, on connaît les engagements politiques, les essais, qui en font une des figures de l’intelligentsia américaine de l’après-guerre, ses amours – sa longue relation avec la photographe Annie Leibovitz – et sa lutte éclairée contre la maladie. La réédition au format poche de ses œuvres complètes chez Christian Bourgois nous offre l’occasion de redécouvrir ses romans, dont ce bel Amant du volcan (1992).
Le roman s’inspire librement des vies de Sir William Hamilton, ambassadeur de la Grande-Bretagne à la cour de Naples, de sa seconde épouse Emma et des amours de celle-ci avec l’amiral Nelson. Prétexte à brosser le tableau fouillé des contextes italien et britannique à l’aube de la Révolution française, l’intrigue offre surtout à Susan Sontag l’occasion de portraiturer deux archétypes : le collectionneur (en la figure du Cavaliere) et le héros (l’amiral). Le Cavaliere collectionne les œuvres d’art, qu’il rapatrie dans son pays d’origine, mais aussi les ascensions du Vésuve, auxquelles il ne renoncera qu’à la toute fin de sa vie. Deux portraits majestueux, qui ne sont pas sans parenté. Le collectionneur fait ainsi montre d’une « hyperactivité qui est celle du dépressif héroïque », tandis que le héros collectionne, d’une certaine manière, les batailles, ce qui vaudra finalement sa perte.
Sontag déploie ici une érudition sensible, passée maître dans l’art de choisir la bonne distance face aux différents personnages et aux moments historiques qu’elle décrit. Elle nous livre son point de vue éminemment féminin sur la condition des femmes et ses entraves à la fin du 18e siècle, sur la Révolution française ou encore sur cette diplomatie décadente et nantie de privilèges innombrables. Une aisance agréablement rendue par la traduction vive et alerte de Sophie Bastide-Foltz.
À l’arrière-plan, l’ombre menaçante de la mort rôde sur tout le roman, de la maladie de Catherine, la première épouse, à la vieillesse et à l’agonie du Cavaliere jusqu’à la mort au combat de l’amiral, sans oublier les victimes de la Révolution. Nul besoin d’avoir lu Mort d’une inconsolée, bouleversant récit des derniers jours de Susan Sontag livré par son fils David Rieff, à qui est dédié cet ouvrage (« pour David, fils aimé, camarade »), pour deviner l’épouvante qui habite l’auteure face à la mort, elle qui connaît déjà la maladie lorsqu’elle écrit ce roman. Soulignons notamment le superbe monologue intérieur du Cavaliere, sur son lit de mort. Treize pages durant lesquelles le Cavaliere se livre à un examen rétrospectif, entre réminiscences désordonnées, absences dues à l’aggravation de son état, regrets et remords.
Ce monologue, troisième et brève partie du roman, débouche sur la quatrième partie, constituée de quatre autres monologues intérieurs : celui de Catherine, celui de la mère d’Emma, femme du peuple devenue la gouvernante de sa fille, celui d’Emma, où nous découvrons dans quelle déchéance sa vie s’achèvera, et enfin celui d’Eleonora de Fonseca Pimentel, poétesse révolutionnaire italienne qui périt sous l’échafaud. Quatre autoportraits en guise d’épilogue, qui permettent à Sontag de multiplier les points de vue et de porter un jugement à propos du faste insolent dans lequel vivaient le Cavaliere et ses homologues, après nous avoir pourtant appris à aimer cet homme sensible, cultivé et généreux.
Un roman subtil et nuancé, qui mérite le détour parmi la bibliographie de son auteure.
« Simplement parce que j’ai fermé les yeux et que je gis totalement immobile, ils pensent que je ne peux pas entendre ce qu’ils disent, mais j’entends fort bien. Mais c’est mieux comme ça, la chambre est si grande, les rideaux qui s’agitent devant la fenêtre sont affligés de troubles nerveux, on ne peut pas tout embrasser d’un seul regard. La lumière m’oblige à fermer les yeux. Doucement, dit quelqu’un, il n’en a plus pour très longtemps. » p. 389
Susan Sontag, L’Amant du volcan, traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Bastide-Foltz, œuvres complètes, t. 8, Christian Bourgois, 464 p., 9 euros, 2011.
Visuel : Susan Sontag © Gérard Rondeau.