
“Plus rien que les vagues et le vent” de Christine Montalbetti : un souffle narratif indémenti
Avec L’Évaporation de l’oncle, Christine Montalbetti nous avait déjà prouvé sa capacité à s’immerger pleinement dans une culture, s’absorber, même, tous pores ouverts. Cette fois-ci, loin du Japon, elle nous embarque avec elle dans une petite ville américaine, Cannon Beach. Changement de décor.
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L’expédition de Lewis et Clark, premiers explorateurs à sonder l’Ouest américain jusqu’au Pacifique lors d’un périple haut en couleur en 1804, sert de fil rouge au dernier roman de Christine Montalbetti. Un palimpseste ténu qui accompagne son récit tendu, sorte d’enquête a posteriori sur les acteurs anonymes d’un fait divers.
Car les personnages qui intéressent notre narrateur sont des piliers de bars lambda, Colter, Shannon, et Harry Dean, dont le destin n’aurait jamais dû croiser le sien. C’est toute la force de l’écriture de l’auteure, que de parvenir à piquer notre curiosité à vif en même temps que son narrateur se repasse en mémoire ses premières impressions sur eux, avant de nous éclairer sur ce qu’il en est vraiment.
Outre le destin éprouvant et tourmenté de ces gueules cassées, le narrateur nous interpelle lui aussi, par le truchement d’un dispositif très tôt mis en place : le narrateur nous fait part de ses pensées à travers de nombreuses incises. Un procédé que Montalbetti manie avec assez de délicatesse pour ne jamais peser sur l’action principale. Et qui lui permet de se jouer de nous, et des images que notre cerveau échafaude un peu paresseusement pour habiter les décors qu’elle plante avec les mots. Ainsi se retrouve-t-on confus, lorsqu’elle nous démasque en train d’imaginer “une étoffe à carreaux où se croisent du bleu profond, du jaune et du rouge, et dont les couleurs chaleureuses redoublent la tiédeur effective de la laine” par le pouvoir évocateur du simple mot plaid, alors que celui qu’elle cherche à décrire revêt “une teinte pâle et unie, entre le beige et le gris”…
Une auteure qui, décidément, ne nous laisse jamais sur le bas-côté, et réussit toujours à nous surprendre là où on ne l’attendait pas.
“C’est une chose qui peut arriver, je crois, qu’au moment même où on se remémore un bonheur intense qui s’est mué plu tard en catastrophe, la sensation de ce bonheur est capable de nous innerver encore bizarrement, comme si on parvenait, en se concentrant, et malgré le savoir du chagrin immense qui avait suivi, à en revivre l’émotion. La force heureuse du souvenir de cet après-midi glorieux, encore maintenant, pouvait submerger Colter.” p. 34
Plus rien que les vagues et le vent, Christine Montalbetti, P.O.L., 284 p., 16,90 €