
Solide, liquide, gazeux : Christine Montalbetti dans tous ses états
Après une exploration des mythes de la Frontière américaine et du western, c’est vers le pays du Levant que se tourne cette fois Christine Montalbetti, faisant appel à tous les arcanes de son talent pour décrire de l’intérieur un Japon imaginaire extrêmement physique.
Petit, Yasu partageait le quotidien monotone de son père et de sa belle-mère Sumiko. Seules les visites impromptues de l’oncle, cet hôte mystérieux, venaient troubler le cours ordinaire de la vie et enchanter la maison.
Pourtant, un beau jour, l’oncle s’évapore, se dissout. Des années plus tard, Yasu décide de partir à sa recherche, tandis que son épouse Yunko l’attend à la maison.
De son propre aveu, Christine Montalbetti aime les paysages, et plus encore les déplacements entre les lieux. C’est dans cette dialectique entre l’homme qui part et la femme qui reste, entre l’intérieur si ordonné des maisons japonaises et la végétation à l’extérieur qu’elle dresse avec soin le cadre de son récit.
L’intrigue se déroule dans un Japon que notre guide connaît de toute évidence en profondeur (Montalbetti a reçu une bourse de la Mission Stendhal pour y séjourner), et qui nous est restitué sous une forme épurée et atemporelle. Un vocabulaire formel archétypal sollicite notre imaginaire collectif : les socques, le tatami, la cloison coulissante, le kimono, la théière.
Pourtant, au-delà de cette investigation précise d’un univers de signes puissant, qui n’est pas sans rappeler l’art de l’Ukiyo-e, dans ce jeu de références constantes mais flottantes à la tradition et à la nature, ce qui intéresse réellement Montalbetti a sans doute plus à voir avec le socle universel des émotions humaines qu’avec le pays investi.
Ainsi, pour mener à bien ses descriptions visuelles, olfactives et auditives, Montalbetti adopte une écriture phénoménologique extrêmement précise, qui s’attelle à décrire d’un même élan les ciels changeants, les saisons et les scènes érotiques. Sans oublier quelques emprunts au shintoïsme, lorsqu’elle prête des intentions au règne des objets, des insectes invisibles.
N’hésitant pas à interpeler directement ses lecteurs avec des apartés sur son propre quotidien, l’auteure multiplie les digressions, dont elle tisse la trame de son récit. Chemin faisant, elle se joue de notre concentration et de notre rapport à la lecture : c’est au moment où nous tentons de replonger au cœur du récit que nous mesurons combien nous y étions enfouis, socques mouillées et chuintantes, nos pas emboîtés dans ceux de Yasu.
Plus l’élaboration de l’hypothèse qui se tient derrière la disparition de l’oncle progresse, pourtant, et plus nos doutes concernant son existence même s’installent.
Et si tout ce récit n’était qu’une cristallisation sur les rêveries et les fantasmes de l’enfance ? Un territoire disparu, mystérieux et, pudique, dont le souvenir est encore si vivace qu’il serait tentant mais sans doute vain de vouloir le retrouver.
« Il y avait eu quelques conversations, quelques confidences, quelques repas ensemble, cette illusion que, oui, leur amitié débutait. Et puis cela s’était défait, sans que Tsunaro puisse s’en expliquer la raison. L’oncle avait cessé de donner de ses nouvelles, et tout s’était désagrégé. » p. 305
Christine Montalbetti, L’Évaporation de l’oncle, P.O.L., 336 p., 19 euros.
Portrait de l’auteur © Hélène Bamberger / P.O.L.