Olivier Adam : aux lisières de la rentrée
Lorsque l’on aborde Les lisières, une question nous titille inévitablement. Comment le petit chouchou de la presse, pressenti favori pour le Goncourt, s’est-il transformé en vilain petit canard au point d’être boudé par tous les prix de la rentrée ? Péché d’orgueil de la part des jurys ? Peut-être. Presse moins regardante sur la qualité littéraire qu’envieuse de créer l’évènement ? Probable. La réponse se cache dans les 454 pages du volume.
De quoi parle le dernier roman d’Olivier Adam ? D’un peu de tout et finalement…de beaucoup de rien. Rapidement, le ton est donné : parachuté au milieu de la vie du narrateur, le lecteur fait connaissance avec un écrivain fraichement séparé de sa femme qui part s’occuper de son père en banlieue parisienne car sa mère est hospitalisée : l’écrivain se balade, en fonction de ses envies et au gré de ses humeurs, et l’on se demande parfois si le chemin qu’il emprunte ne prend pas la forme d’un rond-point.
Si l’on décide de jouer les Sherlock (il faut au moins l’aide de Conan Doyle pour ne pas se noyer dans ce rythme « bonne nuit les petits »), on peut supposer que l’auteur se cache derrière le narrateur, qui se décrit lui-même ainsi : « avec mes cent kilos, mes cheveux trop longs et ma barbe » p.61. Suspense.
Une certitude, une seule : Olivier Adam aime ses lecteurs. A tel point qu’il leur épargne la laborieuse tâche de se poser des questions en les lui suggérant au fil de la lecture. On lit ainsi, dès la première page, à propos de sa séparation, « comment était-ce seulement possible ? Comment avions nous pu en arriver là ? » p.13, « Pourquoi n’avais-je plus le droit de promener ma main sur son cul, de caresser ses seins, de passer un doigt entre les lèvres de son sexe ? Qu’est ce qui avait changé ? » p.14.
Non content de prendre ses lecteurs par la main, il est aussi très généreux avec eux. Davantage en adjectifs qu’en figures de style, mais ne soyons pas trop tatillons. Il parvient ainsi à établir le record de six adjectifs en une phrase avant la fin du second chapitre : « Nous avions tout refait à notre gout, tout y était gai, pimpant, toutes les lumières y étaient douces, chaleureuses, chaque objet choisi, rassurant, délicat. » p.28. Quelques anglicismes se baladent aussi au milieu de ce fouillis littéraire, « publicistes » p.37, « allant le visiter » p.71.
Il retrouve donc le quartier de son enfance ainsi que ses anciens amis, avec qui il n’a gardé aucun contact (on ne saurait lui en vouloir en lisant les portraits qu’il en dresse). Les personnages, caricatures d’eux-mêmes, semblent tout droit sortis d’un mauvais feuilleton de TF1. Que cela soit le frère vétérinaire droitos et houspillant constamment les « bobos », le copain taxi qui galère et se demande s’il a moins de courses car il est arabe « preuve vivante qu’un taxi de gauche ça peut exister », ou encore la serveuse mariée à un lascar alcoolique qui la bat. Tous détestent la culture et la liberté de l’écrivain (ce « vacancier permanent »), mais ce dernier, âme charitable, leur pardonne volontiers cette hostilité.
Après avoir croisé tous les acteurs de son passé, épuisé toutes les anecdotes possibles et couché avec la fille dont il était amoureux au collège (Sophie), il décide de rentrer dans sa Bretagne d’adoption. Une fois passé la quarantième page, alors que l’on se questionne encore sur la pertinence du titre, l’auteur nous fournit cette explication : « En partant pour la Bretagne j’avais enfoncé le clou etc…J’y menais une vie hors saison, une vie en lisière de la vie ». Cette réflexion identitaire est mise en parallèle avec un monde poussé à la marge de lui-même, et alimentée par de réguliers élans mélancoliques sur le Japon où l’auteur a séjourné.
Malheureusement, ce lien est bien symptomatique d’une littérature amatrice de parallèles tirés par les cheveux, mais “comparaison n’est pas raison” et son discours apparaît plus comme un tout petit raisonnement existentiel égocentré que comme une véritable réflexion sur le nouveau « mal du siècle ».
Les lisières parle aussi de politique, ou plutôt du point de vue du narrateur en la matière. Un point de vue se limitant à un défilé de banalités, usant du jargon de la gauche bien-pensante ; son affolement face au score de la « blonde » qui parvient à charmer ses parents, ou encore sa révolte face au principe d’héritage « c’est la plaie de nos sociétés » p.426 ; qui nous rendrait presque sympathiques les néoconservateurs.
De retour sur ses terres, il se réfugie au bistrot du coin, lieu de ses réflexions politiques (cela annonce la couleur). Il casse le nez de l’espèce de « Georges Clooney du pauvre », qui sert d’amant à sa femme et couche une nouvelle fois avec Sophie, qui s’est tapé quatre heures de transport pour un orgasme. Il faut attendre la trois cent quinzième page pour que l’écrivain arrête de commenter son propre feuilleton et nous déballe, d’une traite, la chute de Sophie, rattrapée par son mari venu la chercher, qui se jette du haut d’une digue pour se laisser dériver…dans un océan déchainé. L’auteur dérive alors lui-même, dépourvu de l’unique chose qui le rattache au monde, l’écriture, dans un éclair fulgurant qui rappelle presque la prose de Rilke.
Mais l’émerveillement est de courte durée et l’on se retrouve l’instant d’après chez le psy pour une petite séance d’introduction à la psychanalyse. Après avoir envoyé le charlatan se faire foutre, tout s’éclaire pour notre marginal d’écrivain. Son père ne l’a jamais aimé, car, il vient de l’apprendre, il a eu un jumeau, mort trois jours après sa naissance. Bouc émissaire. Docteur Freud est de retour.
Sa mère se fait renverser, et comble du drame, par un Noir, belle morale pour des gens prêts à voter FN. A la fin, l’écrivain part au Japon et lorsqu’il dit adieu à son père, peu après que sa mère ne meurt, il perçoit une émotion dans sa voix. Renaissance.
L’effort stylistique se résume principalement à la grande trouvaille de l’écrivain, les « matérialisations d’impressions». Tout y passe « Sarah m’avait foutu à la porte de ma propre vie » p.16, « ces deux jours filaient toujours comme des coulées d’or pur » p.22, « notre temps était compté, qu’il ne fallait pas lester de tristesse » p.22, « ma vie était bâtie sur du sable » p.23, « les yeux et le cerveau mangés par l’horizon ». Il serait trop laborieux de toutes les citer, nous pourrions en faire un livre (ne donnons pas ici de mauvaises idées à l’auteur).
Les phrases sont courtes (tout comme les idées d’ailleurs, on salue au moins la constance de l’ouvrage), et l’on peut aisément comprendre le choix de l’écrivain lorsqu’on lit les quelques tentatives plus allongées (pour ne pas dire plus travaillées). On débute généralement par une description détaillée et armée d’adjectifs pour finir sur une sorte de récit “catalogue”, à propos des séries TV ou encore des romans populaires, ce qui est intéressant si l’on n’a pas Télé 7 jours à la maison, ou pas d’idée de cadeaux à l’approche de Noël, mais moins pour les quelques lecteurs égarés, en quête de littérature. Cela donne : « On aurait dit qu’elle avait répété son discours, qu’elle l’avait préparé, tandis que mes yeux glissaient de Surprise et tressaillement à La classe des escargots, en passant par Les hamsters dépriment à Kaboul, L’amour dure trois minutes et Elle s’appelait Raymond, tout Marc Musso et Guillaume Levy, Anna Pancol et Katherine Gavalda, deux ou trois prix Gonaudot et Renoncourt etc…» p.197.
La plus belle invention que nous puissions trouver dans ce livre réside sûrement dans l’inversion des noms et des prénoms de personnalités, qui sont fréquemment cités à travers d’interminables listes. On lit ainsi à propos des goûts des bobos : « je ne me privais pas moins qu’un autre etc…de moquer leurs gouts tièdes, que je partageais parfois il fallait bien l’avouer, Bénabar, Benjamin Doré Julien Dutronc Thomas Chedid Mathieu Biolay, Guillaume Duris et Romain Canet, Mélanie Tautou Audrey Laurent, Le grand journal, Habitat, l’Auberge russe et les poupées espagnoles, François Begbeder Frédéric Begaudeau etc… » p. 213.
Finalement, l’auteur résume bien le principal problème à la page 265 « un bon film, comme un bon livre, ne tient qu’à la manière, au regard, au rythme, au plan, à la langue, à la lumière, au temps, à la phrase. Et éventuellement aux personnages ». Sursaut de lucidité peut être…Trop tard.
Olivier Adam, « Les Lisières », Flammarion, 464 p., 21 euros. Sortie le 22 août 2012.