
« Œuvres vives » et « Par ailleurs (exils) » de Linda Lê : de l’exil en héritage
Auteure discrète et rare, Linda Lê nous revient en cette rentrée avec deux opus singuliers : une fiction havraise, Œuvres vives, et un essai sur l’exil en littérature, intitulé Par ailleurs (exils). Sous deux formes hétérogènes, elle creuse son sillon ardent autour du thème de l’exil.
[rating=5]
Linda Lê fait partie de ces écrivains dont il est impossible de dissocier la biographie de l’œuvre : née en 1963 au Viêt-nam, la petite fille grandit à Dalat. Lorsque la guerre éclate, sa famille s’enfuit et s’installe à Saïgon en 1969. Premier exil, qui sera aussi celui de la langue, car la jeune fille poursuit ses études en français et s’éprend de cette nouvelle littérature. Finalement, en 1977, elle quitte le Viêt-nam avec sa mère et ses sœurs, et arrive au Havre.
Le narrateur d’Œuvres vives est masculin. Lors d’un séjour au Havre, il est bouleversé par la lecture du roman d’un inconnu, Antoine Sorel (!), qui disparaît le lendemain de cette découverte. Mû par une irrésistible curiosité, le narrateur décide alors de suivre ses traces, toutes affaires cessantes. Naturellement, son enquête est ardue, presque impossible, puisque les derniers individus à l’avoir fréquenté étaient surtout des compagnons de beuverie…
À mesure que l’enquête prend forme, au gré des pérégrinations du narrateur, des figures du passé de Sorel surgissent pourtant, animées de sentiments aigus, entre la haine du père envers ce fils dissident des valeurs familiales, et l’amour nostalgique d’une femme plus âgée que Sorel, qui fut un temps son amante. Le récit sombre et puissant emporte comme une lame de fond, titre du précédent opus de l’auteure, sans que l’on s’en rende compte, tandis que monte une sourde nostalgie des profondeurs de la ville havraise. La figure de Sorel n’est pas forcément moins floue lorsque s’achève notre lecture, mais le chemin est traversé de profondes réflexions sur la littérature, le rapport au temps, la solitude, le sens des origines.
“Après plusieurs nuits d’un sommeil qui n’avait rien de reposant, je me réveillai un matin à l’aube en ayant en tête l’image d’un navire, avec ses ŒUVRES VIVES, c’est-à-dire la partie de la coque immergée dans l’eau, par opposition aux ŒUVRES MORTES, la partie émergée. Il y avait de multiples sens à ces œuvres vives, et je ne doutais absolument pas que l’expression, si je la retenais comme titre de mon livre, était assez parlante”, Œuvres vives, p. 258.
C’est dans une langue directe, soucieuse de son efficacité, que Linda Lê évoque pour nous ses lectures, dans l’essai Par ailleurs (exils). Plus qu’un essai, il faudrait d’ailleurs plutôt parler d’une recension en prose, d’une réflexion menée par l’auteure sur sa condition d’exilée, creusée d’une lecture à l’autre. Linda Lê n’aime rien tant que partager ses découvertes, en généreuse passeuse, comme elle l’avait fait en 2009 avec Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau. Cette fois, le thème est circonscrit, l’exil est le fil rouge, au gré des nombreux voyages terrestres et intérieurs des auteurs que Linda convoque, de Gombrowicz à Cioran, de Tsvetaeva à Pizarnik, de Fondane à Adorno…
Linda Lê, Œuvres vives, Christian Bourgois, 334 p., 17 euros. À paraître le 21 août 2014.
Linda Lê, Par ailleurs (exils), Christian Bourgois, 162 p., 13 euros. À paraître le 21 août 2014
Crédits : © Mathieu Bourgois
2 thoughts on “« Œuvres vives » et « Par ailleurs (exils) » de Linda Lê : de l’exil en héritage”
Commentaire(s)