“Le colonel ne dort pas”, il ne quittera plus nos nuits
Prix Goncourt du premier roman 2021 pour Sur qui se lamente le tigre, Emilienne Malfatto convoque les chimères pour raconter mieux que nul autre l’Histoire.
Un colonel insomniaque. Un subalterne zélé. Des hommes-poissons qui rodent. Des jours qui se suivent et se ressemblent. Un palais qui prend l’eau de toute part. Et c’est tout un peuple qui boit la tasse et se noie. Sous les coups de la guerre.
Dans le nouveau roman d’Emilienne Malfatto, déjà remarquée pour le remarquable Sur qui se lamente le tigre, les personnages traversent l’existence comme un champ de ruine. Au point d’en devenir eux-mêmes. Des ruines. Comme ce colonel, spécialiste de l’interrogatoire, qui passe ses nuits, hanté par les fantômes de ceux qu’il a torturés, à s’interroger sur le sens de la guerre. Au fil des pages, il apparaît évident que plus personne ne sait vraiment pourquoi l’on se bat. Et, à mesure que le sens de la guerre s’effiloche dans les méandres des explosions, le colonel lui aussi perd de sa substance.
Seule demeure la langue. Celle sublime d’Emilienne Malfatto qui, pendant que Le colonel ne dort pas, nous convainc qu’ “une belle chimère vaut mieux que la vérité”. Ainsi, en lieu et place d’une description réaliste du conflit, l’ancienne reporter de guerre cède à la poésie. Sans pour autant tomber dans la facilité d’un procédé d’écriture qui alterne courts chapitres de récit et pensées fantasmagoriques. Osé, pour une jeune auteure, le pari est parfaitement réussi. Le colonel ne dort pas est bien parti pour hanter longtemps nos nuits. On comprend dès lors pourquoi les maisons d’édition ont livré bataille pour en acquérir les droits…
Emilienne Malfatto, Le colonel ne dort pas, Paris, Éditions du sous-sol, sortie le 19 août 2022, 112 p., 16 euros.
Visuel : couverture du livre