
« La Chute de Rome » de Bryan Ward-Perkins : la fin d’une civilisation…
À Ravenne, le 4 septembre 476, le jeune empereur Romulus Augustule – « le petit Auguste » – est contraint d’abdiquer par Odoacre, roi des Hérules – un peuple germanique venu de Scandinavie s’installer sur les bords de la mer Noire. L’empire d’Occident disparaît, ce qui est vécu comme une fin du monde par les habitants de l’ ere culturelle et politique romaine.
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Quinze siècles plus tard, ce tournant capital de l’Histoire reste fascinant et mal connu. Parler de la chute de Rome, des grandes invasions et du remodelage tumultueux de l’Europe par les royaumes barbares, c’est aussi s’interroger sur notre propre culture, sur les identités nationales et sur la hantise du déclin. Faut-il parler d’un soudain basculement dans les « âges sombres » ou ne voir, au contraire, dans les temps troublés de l’Antiquité tardive, qu’une turbulente période de mutation ?
Se fondant sur ses travaux novateurs d’archéologue, notamment dans l’étude de la céramique sigillée, Bryan Ward-Perkins démontre, preuves à l’appui, que les invasions barbares provoquèrent un effondrement spectaculaire touchant tous les domaines : politique, économie, religion, vie quotidienne. Avec humour, érudition et passion, il conteste l’idée, dominante chez les historiens d’aujourd’hui, d’une transition entre l’Antiquité et le Moyen-Âge. Il montre au contraire la fin violente et le soudain décrochage d’une culture. Il fait aussi revivre, de façon concrète et frappante, cette civilisation dont les innovations et le niveau de vie furent balayés en quelques décennies pour n’être retrouvés qu’au terme de plusieurs siècles. Avec La Chute de Rome, il relance le débat sur les origines de l’effondrement d’une civilisation.
Ce livre, excellent et équilibré, pour reprendre les mots de Paul Veyne, fait écho à notre civilisation occidentale en crise. Effondrement des prélèvements fiscaux, danger de la spécialisation des techniques de production de masse, dépendance des consommateurs, et fragilité des réseaux de distribution, ont rendu un système complexe extrêmement vulnérable aux crises. Les invasions barbares ont fait exploser les fondements même de l’économie romaine. Ce livre comporte aussi en germe les prémices d’une société féodale qui doit s’en remettre aux chefs de guerre locaux pour sa défense et sa survie.
“Une comparaison avec le monde contemporain s’impose. L’économie de l’antiquité, certes, était loin d’approcher les niveaux de complexité du monde développé de ce début du XXI ème siècle. Nous occupons chacun de petites niches de production, et nos contributions à l’économie globale sont infimes, ultra-spécialisées. Nous dépendons pour chaque chose qui nous est nécessaire de milliers d’autres personnes répandues à travers le monde […] Le monde romain antique n’avait pas emprunté à ce point le chemin de la spécialisation et de la vulnérabilité, mais s’y était en partie engagé.”
“La fin de l’Occident romain s’accompagne d’un grand nombre d’horreurs et d’un processus de dislocation tels que j’espère sincèrement ne jamais m’y trouver confronté dans ma vie présente. Une civilisation complète fut détruite, ramenant ses habitants à des manières de vivre telles qu’aux temps préhistoriques. Les romains avant la chute étaient eux aussi convaincus que nous le sommes nous aujourd’hui, que le monde resterait, pour l’essentiel, tel qu’il était. Ils avaient tort. A nous de ne pas répéter leur erreur et de ne pas nous bercer d’une fallacieuse assurance.”
“La Chute de Rome” de Bryan Ward-Perkins, la fin d’une civilisation, Alma Éditeur, Février 2014.
Visuel ©: couverture du livre
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