Fictions
« Une tristesse infinie » d’Antônio Xerxenesky : Quelle est cette langueur qui pénètre mon cœur ?

« Une tristesse infinie » d’Antônio Xerxenesky : Quelle est cette langueur qui pénètre mon cœur ?

28 June 2023 | PAR Julien Coquet

Lauréat du Premio Sao Paulo de Literatura, un des plus prestigieux prix littéraires du Brésil, Une tristesse infinie se déroule loin de l’Amérique du Sud, et hante une Suisse au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Avec sa femme Anna, au début des années 1950, Nicolas s’installe dans un village suisse reculé (pléonasme). Psychiatre de formation, le jeune Français se concentre sur son travail à la clinique réputée pour son approche douce de la psychiatrie. L’objectif : guérir les hommes et femmes traumatisés par le proche conflit. Croyant profondément au pouvoir de la parole, Nicolas dialogue avec ses patients tout en délaissant sa femme. Et cette profonde tristesse qui l’envahit, n’est-elle qu’une conséquence directe de l’hostilité de la nature et de la solitude, ou bien vient-elle d’un mal plus lointain ?

Une tristesse infinie peut ennuyer dans son premier tiers : on est en droit de trouver l’histoire répétitive, et le style de Xerxenesky finalement peu littéraire. Pour autant, il serait plus que dommage d’abandonner le livre tant le reste du roman déploie une foule de réflexions sur la psychiatrie, l’amour, la solitude, la maladie mentale, etc. Car Antônio Xerxenesky multiplie les sujets de crise pour son personnage principal. Nicolas doute certes de ses compétences en psychiatrie, et des sentiments qu’il porte pour sa femme, mais il se retrouve surtout entraîné dans une spirale plus complexe, celle d’une profonde mélancolie. Fils d’un père qui s’est suicidé, psychiatre ayant dû fuir la guerre et se réfugier à Bordeaux puis à Vichy, Nicolas est également dans l’incapacité d’avoir des enfants avec sa femme.

Xerxenesky place toutes ces questions dans un cadre spatio-temporel très défini (« ce n’est pas un village, docteur, c’est un trou perdu au milieu de nulle part »), lui permettant d’évoquer les dilemmes de la psychiatrie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (l’auteur brésilien faisant même intervenir un jeune Jean Starobinski qui chercher à « reconstituer l’histoire de la mélancolie et de ses traitements »). C’est ainsi un immense soldat traumatisé par les horreurs qu’il a vues, une jeune femme ne se remettant pas d’avoir participé à l’élaboration de la bombe atomique, un employé dans les assurances très probablement sympathisant nazi… Chaque cas fait figure d’exemple. Tel une rédemption, l’auteur aborde par ailleurs l’arrivée sur le marché d’un nouveau médicament, la molécule RP-4560. En parallèle, Une tristesse infinie aborde également les prémisses de la physique quantique via le personnage d’Anna qui préfère se perdre dans les équations que dans les forêts enneigées. Un roman historique subtil.

« Etant donné que le temps était un et illusoire, Nicolas en profita pour fouiller sa mémoire en quête de fragments de conversations avec son père qui pouvaient être revécus, bien que séparés de lui par des années et des kilomètres. Mais, se trouvant face à un vide d’images, incapable de se remémorer en détail le visage de son père à une époque antérieure à celle où il s’écroulait dans le canapé avec ses bouteilles d’alcool, il pensa à lui avec une forme de colère : son père avait toujours écarté toute forme de religiosité, au-delà de la religion de la mélancolie et de l’alcoolisme, et il pensa ensuite avec autant de colère à sa mère, qui avait changé son nom en Legrand, puis il replaça cet acte dans son contexte et se dit que sa mère avait peut-être sauvé la vie se sa famille car, pratiquant ou non, croyant ou non, Nicolas aurait été envoyé dans un camp de concentration avec ce nom de famille rempli de consonnes sur son passeport. »

Une tristesse infinie, Antônio XERXENESKY, traduit du portugais (Brésil) par Mélanie Fusaro, Asphalte éditions, 272 pages, 22 €

Visuel : Couverture du livre

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Julien Coquet

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