
« Un été à Bluepoint » : un très beau premier roman par Stuart Nadler
Dans les années 1950, le père de Hilly Wise devient un avocat riche et célèbre en défendant les victimes d’un crash aérien. Sa carrière s’envole de manière fulgurante, et les Wise vivent comme des nouveaux riches. Le jour où ils achètent une petite maison à Bluepoint, dans les environs du Cap Cod, ils font aussi la connaissance de Lem Dawson, un vieux domestique noir que le père d’Hilly exploite comme une bête de somme. Hilly rencontre bientôt Savannah, la jeune nièce de Dawson, dont il tombe fou amoureux. Mais une idylle entre un jeune Blanc fortuné et une pauvre jeune fille noire n’est pas vue d’un bon œil par l’entourage des deux adolescents…
Le premier roman de Stuart Nadler est une belle réussite : à travers l’histoire de Hilly, un jeune Américain qui hérite du succès et de la richesse de son père, Nadler explore avec beaucoup de finesse la société américaine de l’après-Seconde guerre mondiale. Le père de Hilly, Arthur Wise, est l’archétype même du self made man qui a flairé un bon filon et qui a su l’exploiter pour devenir l’une des premières fortunes des États-Unis. Malgré le confort indéniable que cela lui apporte, le jeune Hilly ne se sent jamais à l’aise avec la richesse nouvelle de sa famille, et il ne cesse de répéter que les souvenirs les plus heureux de son enfance précèdent tous les succès de son père.
C’est donc la relation père-fils qui est au cœur du roman : qu’il renie son père ou qu’il finisse par l’accepter, Hilly se perçoit toujours par rapport à Arthur, par rapport à ce qu’il lui apporte ou ce qu’il lui enlève. À commencer par l’amitié avec Lem Dawson, le domestique noir de la famille, et, par la suite, un amour naissant avec la nièce de Dawson, la belle Savannah, aussi pauvre et démunie qu’il est riche et insouciant. La rencontre avec Savannah sera déterminante pour Hilly : leur relation durera le temps d’un été, mais elle définira une grande partie de la vie adulte du jeune homme.
Découpé en trois parties, le roman s’attache ainsi à observer l’évolution de Hilly à travers trois âges de sa vie : l’adolescence, lors de ce fameux été à Bluepoint, l’âge adulte d’un journaliste qui refuse de toucher à l’argent de son père, et enfin l’âge mûr, alors que, père de quatre filles, il accepte enfin l’héritage familial, au sens propre comme au figuré – pour en disposer à sa manière. Des trois époques décrites dans le roman, la première est sans doute la mieux réussie, tout autant parce qu’elle saisit des personnes à une période charnière – l’adolescence pour Hilly, le début de la richesse pour Arthur, mais aussi parce qu’elle donne vie à cette péninsule de Bluepoint, petit coin perdu de paradis béni par la lumière et la mer.
Un premier roman très réussi, donc, qui se dévore avec beaucoup d’intérêt, et qui place Stuart Nadler comme un écrivain à surveiller parmi les auteurs américains.
Un été à Bluepoint, de Stuart Nadler. Traduit de l’anglais (USA) par Bernard Cohen. Éditions Albin Michel. Paru en janvier 2015. 432 p. Prix : 22,90 €.
Pour aller plus loin
Alors qu’Un été à Bluepoint paraît chez Albin Michel, Le Livre de Poche publie au même moment la version poche du premier opus signé Stuart Nadler, Le Livre de la vie.
Ce recueil de nouvelles, dont Yaël Hirsch vous avait déjà parlé sur Toute la Culture, porte déjà en lui tout ce qui fait la qualité du premier roman de Nadler : des personnages d’autant plus humains qu’ils sont perclus de faiblesses et de défauts. Un homme adultère pris à son propre jeu, des histoires de pères et de fils, de frères et d’amants qui ne se comprennent pas tout simplement parce qu’ils ne font pas l’effort de se parler… Nadler saisit l’humanité de tous ces personnages avec beaucoup d’intelligence, pour proposer sept nouvelles très bien maîtrisées, qui sont un régal à lire.
Le Livre de la Vie, de Stuart Nadler. Traduit de l’anglais (USA) par Bernard Cohen. Le Livre de Poche. Paru le 7 janvier 2015. 312 p. Prix : 7,10 €.