[Interview] Baden Baden : « de plus en plus de plaisir à écrire des morceaux dans notre propre langue »
Avec son second album Mille Éclairs, Baden Baden bascule de manière quasi intégrale dans la pop écrite et chantée en français. Une démarche spontanée éloignée de la tendance french pop actuelle (les trois garçons se retrouvent plus dans Girl In Hawaii que dans Lescop…), en constante hésitation entre les bruissements de la ville (les titres plus bavards) et les apaisements des bords des mers (les titres plus instrumentaux). Dans les locaux de Naïve, rencontre avec Éric, Gabriel et Julien, dont on peut se procurer dès aujourd’hui ce second album studio…
Sur la pochette de Coline, on pouvait extrapoler en vous imaginant regarder couler un fleuve / une rivière en haut d’un pont. Là, celle de Mille Éclairs représente la photographie d’un aviron, et celle du single J’ai Plongé Dans Le Bruit montre un morse en train de nager dans les eaux. Effectivement, ça y’est, vous avez plongé, mais où ça exactement ?
Éric (chant / guitare) : Dans le bruit ? Non sérieusement, tu as raison, la métaphore aquatique est carrément possible !
Gabriel (batterie) : On peut aussi penser au clip de « Évidemment »…Ce n’est pas volontaire ni intellectualisé, mais oui, le rapport à l’eau est très marqué !
Éric : En ce qui concerne le titre en lui-même, ce qui est drôle, c’est qu’il n’y a pas forcément une métaphore aquatique dedans. C’est plus une métaphore d’un environnement très urbain, très agité, très nocturne…
…et très bruyant donc ? Entre le single J’Ai Plongé Dans Le Bruit et Mille Éclairs, il y a toujours dans le titre le sentiment de violence sonore…C’est paradoxal, puisque cette violence, on ne la retrouve jamais dans le son chez Baden Baden…
Éric : Tu as raison. Mais ce bruit, ce serait plus dans le sens « bruit mental ». Le titre est tiré du morceau « Hiver », et la phrase entière c’est « mille éclairs dans tes yeux ». C’est ce que l’on essaye de retranscrire dans nos titres : toutes les émotions très brutes et très intenses qui peuvent intervenir lorsque les mots ne viennent pas et que c’est à travers les yeux que l’émotion se retranscrit…
Gabriel : Il y a différents niveaux de lecture possibles. Ça peut traduire différents degrés d’émotions…
Ces émotions, désormais, vous les traduisez d’ailleurs toutes en français (si l’on excepte la moitié du morceau « M.a.c. »)…
Éric : Ce n’est pas un choix prémédité. Lorsque l’on a commencé à composer les textes de cet album, on pensait même plutôt que ce serait plus équilibré que le premier, sur lequel on a deux tiers des morceaux en anglais, et un tiers en français. Mais petit à petit, on s’est rendu compte que l’on prenait de plus en plus de plaisir à écrire des morceaux dans notre langue maternelle. On a tenu alors à privilégier une composition plus instinctive, ce qui est forcément moins possible lorsque tu la fais en anglais. On a pu ainsi mieux jouer avec les mots et avec les doubles sens. Très rapidement, on s’est ainsi retrouvés avec un nombre important de morceaux en français, et même si on s’est dit sur la fin que ce serait pas mal de composer quelques morceaux en anglais, ça ne fonctionnait pas…C’est peut-être que l’on avait perdu l’habitude de le faire…Après, si ça se trouve, le troisième album sera tout en anglais, il n’y a rien de définitif.
Gabriel : Peut-être que l’on a trouvé aussi en composant uniquement en français une cohérence qui pouvait nous manquer sur le premier album. Lorsque tu passes d’une langue à l’autre sans transition, c’est moins évident.
Éric : Oui, et même au niveau du live : on est en train de commencer à penser la manière dont on va organiser notre set sur notre prochaine tournée, et on hésite vraiment à intégrer dedans nos morceaux en anglais. Faire un live tout en français : c’est une possibilité que l’on envisage. Il y a des morceaux du premier albums composés en anglais que l’on adore jouer en live, mais il faut faire attention que ça ne paraisse pas étrange par rapport au reste…En plus, les singles du premier album (« Évidemment « et « La Descente ») étaient également en français, ça reste cohérent de garder ces morceaux-là aux dépens des autres.
Il n’y avait donc pas la volonté d’inscrire cette démarche de composition dans une tendance nationale actuelle qui favorise énormément la pop chantée en français ?
Julien (guitare) : Non, vraiment pas. C’est vrai que l’on sait qu’en composant en français, ça risque de passer plus facilement en radio, mais comme le disait Éric, la démarche était vraiment naturelle, pas tellement pensée.
Il y avait aussi, tout simplement, la volonté de chanter quelque chose qui soit compris instantanément par le public ?
Éric : Oui, et même nous, lorsque l’on chante, c’est moins automatique, ça nous touche plus. En anglais, il peut y avoir une sorte de détachement, une sorte de musicalité que l’on va apprécier. Mais le sens des mots pèsera moins. En chantant en français, on est bien plus conscients de ce que l’on est en train de raconter…
Et il y avait quelque chose de particulier que vous aviez envie de raconter ?
Éric : C’est compliqué d’avoir un recul comme ça…Lorsque je compose, c’est dans des moments de concentration où je laisse un peu les vannes ouvertes et où je vois bien ce que ça rend…Mais je pense que, de manière très générale, l’album parle de la relation que l’on a avec le monde extérieur, avec l’environnement urbain, avec la nature…D’ailleurs, la première partie de l’album a été composée à Paris, et la seconde dans une maison de Basse-Normandie, justement près de la mer. C’est drôle d’ailleurs le rapport que tu faisais tout à l’heure avec les univers marins…c’est cohérent !
Les plages sonores étirées, déjà suggérés sur le premier album (on se souvient du très éthéré « Last Song ») s’accumulent davantage sur ce second album plus contemplatif…
Éric : Je pense que ça se ressent surtout sur les morceaux qui, justement, ont été composés en bord de mer. Il y a une grosse densité instrumentale et un gros débit de textes sur les morceaux qui ont été créés à Paris. Les autres sont plus relâchés. Comme il y a beaucoup de textes sur cet album, je crois que l’on a eu besoin à un moment donné de laisser de côté la voix et de laisser l’instrumentation s’installer.
Cet album-là me donne l’impression d’un format pop dans lequel vous vous enfermez un peu, alors que l’on sent une attirance et un vrai savoir-faire pour les plages plus progressives et plus oniriques…On sent une hésitation constante…
Éric : Ça fait sans doute partie du fait que l’on a tous au sein du groupe des influences très différentes.
Julien : On a notamment écouté pas mal de Sigur Rós, de Mogwai, et des groupes des années 90 issus de la scène US qui n’ont aucun complexes à laisser 1 minute de chaos un peu lourd et progressif. Ça se ressentait effectivement sur « Last Song », et là un peu plus sur cet album. Là, en bossant le live, on se dit aussi que l’on va laisser plus de temps à certains morceaux de s’installer, afin que l’expérience scénique s’en trouve prolongée.
Gabriel : On aime bien la diversité : switcher de l’un à l’autre, de la pop au format plus lourd. Mais il n’y a pas vraiment de plan au préalable…
Vous me faites penser un peu à des Girls In Hawaii français…Ce genre de pop qui n’hésite pas à ajouter des instruments un peu inhabituels (cors, violons, trompettes…) dans ses compostions…
Julien, le guitariste, sort à ce moment-là de ses poches les quatre albums des Girls In Hawaii, qu’il vient justement de récupérer dans les locaux de Naïve (qui distribue les albums du groupe belge) dans lesquels nous réalisons cette interview…
Julien : Tu vois, tu n’as pas tort sur cette histoire !
Éric : On adore ces types-là, on suit leurs albums depuis le début ! On retrouve chez eux deux choses que l’on aime tout particulièrement : leur très grande simplicité dans l’accroche mélodique (il suffit de 10 secondes pour être happés par une mélodie hyper accrocheuse…), et en même temps, le côté extrêmement ambitieux de leur pop. Le côté chant un peu « naïf », c’est quelque chose dans lequel je me retrouve également beaucoup…
À propos d’autres groupes : vous saviez qu’il y en avaient d’autres qui s’appelaient Baden Baden ? Il y a notamment un groupe polonais de new wave épique bien kitsch qui a sorti au milieu des années 80 quelques albums (il y a notamment le single « Keep Your Hands Off ») que je vous conseille…
Éric : Mais oui, je suis déjà tombé là-dessus, c’est ultra kitsch ! Mais je croyais qu’ils étaient Suédois…
À la Gaîté Lyrique, il y a un peu plus d’un an, on vous avait notamment vus accompagnés d’un quatuor à cordes. Vous vous verriez être accompagnés par un orchestre de plus grande ampleur sur vos prochains live ?
Éric : Cette date à la Gaîté Lyrique était la dernière de notre tournée. On avait fait appel à ce quatuor pour marquer le coup. C’était quelque chose de ponctuel, mais on n’est pas opposé à renouveler l’expérience !
Gabriel : On aimerait bien le faire plus souvent, mais le coup de plateau n’est évidemment pas le même avec des musiciens en plus…Et puis ce n’est pas non plus une nécessité absolue. Ceci dit, ça me rappelle qu’avant, on tournait sans trompette en live. Et puis un jour, on a pris Arnaud sur une date au Nouveau Casino. C’était censé être juste pour marquer le coup pour la sortie de l’album, et finalement il fait aujourd’hui partie intégrale du groupe…Il s’occupe du clavier aussi sur certains morceaux.
Éric : Après, par rapport à l’idée d’orchestre symphonique, ce serait une idée, mais il faut aussi que ça reste pertinent, pas uniquement un petit plaisir personnel.
Gabriel : Ouais, mais ce serait plus un one shot. Pas sur la durée.
Vous avez fini par la visiter, cette ville de Baden Baden ?
Gabriel : Toujours pas non ! On reste dans le fantasme !
Julien : Il y a un côté mystérieux que l’on aime bien garder.
Gabriel : Et si on reprend un peu ton analyse du début sur l’eau, Baden Baden ça renvoie à l’idée de ville thermale, et ça veut dire « Bain Bain » : il est peut-être là, le rapport constant et inconscient à l’eau…
En concert au Café de la Danse le 25 mars.
Baden Baden, Mille Éclairs, 2015, Naïve / Périscope, 38 min.
Visuel : © pochette de Mille Éclairs de Baden Baden