
Toute la noirceur du monde: la figure du monstre par Pierre Mérot
[rating=4]
Pierre Mérot a bien failli louper cette rentrée littéraire 2013, son dernier manuscrit ayant révulsé bon nombre d’éditeurs. Jugé « non conforme » aux idées véhiculées par certains, trop politiquement incorrect et affreusement scandaleux par ceux qui ont oublié la définition même d’une œuvre fictionnelle, Toute la noirceur du monde doit sa publication au flair des Editions Flammarion.
Voilà un ouvrage qui porte bien son titre. Toute la noirceur du monde évoque la longue descente aux enfers d’un homme lambda, cinquantenaire bedonnant, prof de philo blasé et auteur raté qui décide un beau matin de rompre avec sa vie de minable et de réveiller le monstre qui est en lui. Initiative excitante, jouissive, qu’il juge salutaire et qui va permettre à notre anti héros de tirer sur tout ce qui bouge. Et pour concrétiser son envie de violence et assouvir sa haine du monde, rien de plus fort, croit-il alors, que de prendre sa carte du FN. La montée de l’extrême droite en France est un signe du destin. Son enthousiasme est à son comble : Adieu “les pétasses voilées” qui mâchent du chewing gum au premier rang et bonjour la milice !
Jean Valmore est un homme frustré, rempli de haine envers les autres et envers lui-même. Un homme qui, au crépuscule de sa triste vie, va cristalliser son désir de violence autour de ceux qu’il côtoie chaque jour et qu’il juge responsables de sa médiocrité : les femmes, les « mous », les profs de son lycée, les élèves, surtout les filles et les immigrés sur lesquels il compte bien se défouler. Un déchainement de haine et de barbarie va alors l’entrainer dans une escalade de violence au delà de l’imaginable. Et plus les atrocités s’enchaînent, plus cet homme va retrouver la sérénité et la joie de vivre, persuadé d’avoir enfin trouver un sens à sa vie.
Vous l’aurez compris, Pierre Mérot ne fait pas dans la dentelle. Et tant mieux. Car ce roman n’est pas un pamphlet politique et haineux comme certains ont voulu le croire mais une œuvre très audacieuse, parfaitement écrite, qui nous expose sans concessions le cheminement de la haine et de la terreur chez un individu moyen. La polémique actuelle qui met en doute la qualité fictionnelle du roman est de très mauvais goût, selon nous et n’a aucune raison d’être. Certes, Pierre Mérot triture jusqu’au sang tous les sujets dits « sensibles » de notre société mais il y a là une véritable oeuvre littéraire, oscillant savamment entre cruauté et humour noir cinglant. L’hyper réalisme du personnage ne fait pas dans le lyrisme, la figure du monstre est traitée sans précaution et c’est ce qui rend l’œuvre réussie.
Au delà du malaise qui s’immisce au fil des pages, on sent ici et là quelques tentatives de l’auteur à essayer de rendre son personnage plus digeste, anticipant peut-être la levée de boucliers médiatiques qui l’attendent au tournant, mais sachant aussi, en son for intérieur, qu’il est déjà trop tard et que la ligne rouge est déjà loin derrière…Où alors est-ce simplement pour nous signifier la banalité du mal? Toute la noirceur du monde est un roman qui fait froid dans le dos et qui dissèque avec justesse les composantes intimes d’un terreau humain toujours propice à la barbarie.
Toute la noirceur du monde de Pierre Mérot
Editions Flammarion
Parution: 18 septembre 2013
237p. – Prix: 18€
ISBN: 978-2-0813-1273-9