Fictions
« Moins que zéro » de Bret Easton Ellis : Retour sur un premier roman

« Moins que zéro » de Bret Easton Ellis : Retour sur un premier roman

24 May 2023 | PAR Julien Coquet

A l’occasion de la parution du dernier roman de Bret Easton Ellis, Les Eclats, Robert Laffont publie à nouveau certains romans de l’écrivain américain, dont son premier, Moins que zéro.

Avant d’aborder certaines œuvres, et notamment lorsqu’elles appartiennent au patrimoine, il convient souvent de les remplacer dans leurs contextes. Car si Bret Easton Ellis exerce toujours son métier d’écrivain, Moins que zéro a tout de même presque quarante ans. Publié en 1985, alors qu’Ellis n’a que 21 ans, le roman est rapidement loué pour son style et pour sa représentation de la jeunesse américaine richissime perdue des années 1980. Le Monde déclarant même : « Une extraordinaire puissance de narration… Le roman des années quatre-vingt est né. Ouf, il était temps. » Et, bien des années plus tard, on est en droit de se demander ce qui est passé par la tête d’un éditeur, Simon & Schuster, pour publier un tel livre…

Difficile à résumer, Moins que zéro (dont le titre est une référence directe à la chanson « Less Than Zero » d’Elvis Costello) se penche sur les quatre semaines que passe à Los Angeles le jeune Clay, dix-huit ans, de retour du New Hampshire où il étudie. Clay est riche, et c’est peu de le dire. De fête en bar, et de restaurant en boîte de nuit, Clay reprend contact avec ceux qu’il fréquentait aux collèges, se drogue, s’alcoolise mondainement et baise sans plaisir.

Presque quatre décennies après la parution initiale du livre, le style de Bret Easton Ellis intrigue toujours, autant qu’il déroute, construit bien souvent sur la base d’un sujet-verbe-complément classique (« Je regarde la Porsche noire, j’essaie de voir à travers le verre fumé des vitres, je me demande s’il y a quelqu’un dans la voiture. »). Si le style peut taper sur le système, louons la vision de Bret Easton Ellis d’un monde qu’il semble détester. Chez ces jeunes, tout est creux et vide, rien n’a de consistance. Clay se fout de tout : il confond ses sœurs, ne sait pas vraiment avec qui il a couché, ni à quand remonte la séparation de ses parents (« C’est difficile de plaindre quelqu’un qui s’en fout. » lui balance sa copine). L’existence n’ayant aucun sens, et la pensée aucune valeur, les personnages se raccrochent uniquement au corps : tout le monde est beau, ou cherche à l’être (Muriel souffre d’anorexie, Trent est mannequin).

Très ancré géographiquement (Century City, Westwood, Palm Springs) et musicalement (Blondie, Duran Duran, INXS, Psychedelic Furs), le roman plonge ses corps de jeunes adultes dans le sexe sans plaisir et la drogue.

« Nous sortons de chez Chasen dans les rues vides. L’air est sec et chaud, le vent souffle toujours. A Little Santa Monica, une voiture s’est retournée, ses vitres sont brisées et, quand nous passons à côté, mes sœurs se dévissent le cou pour ne pas en perdre une bouchée et demande à ma mère, qui conduit, de ralentir, ce qu’elle en fait pas, si bien que mes sœurs sont furieuses. Nous allons chez Jimmy’s, ma mère gare la Mercedes devant l’entrée, le voiturier la remplace au volant et nous nous installons sur une banquette près d’une petite table dans un coin sombre du bar. La salle est vide ; il y a seulement quelques couples au bar et une autre famille assise en face de nous. Un pianiste joue « Septembre Song » en chantant doucement. Mon père dit qu’il devrait interpréter des chants de Noël. Mes sœurs vont aux toilettes, et à leur retour elles affirment avoir vu un lézard dans les cabinets et ma mère dit qu’elle ne comprend rien. »

Moins que zéro, Bret Easton ELLIS, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent (édition revue et corrigée par B. M.), Robert Laffont, 232 pages, 20 €

Visuel : Couverture du livre

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Julien Coquet

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