« Les Dépossédés » de Ursula K. Le Guin : Anarres et Urras
La traduction révisée d’un des meilleurs livres d’Ursula K. Le Guin, Les Dépossédés, nous a donné envie de nous plonger à nouveau dans cette œuvre majeure de la science-fiction.
Pourquoi lire Ursula K. Le Guin (1929 – 2018) ? Si l’on souhaitait une raison simple, on pourrait mettre en avant que c’est l’une des seules femmes auteures de science-fiction ! Dans un monde d’hommes, Ursula K. Le Guin réussit à se faire sa place dans les années 1960 : nouvelles et romans de science-fiction et de fantasy se succèdent, et raflent les meilleurs prix (prix Locus, prix Nebula, Grand prix de l’imaginaire….). Ses écrits, marqués par une magnifique langue, font la part belle aux réflexions sociologiques, philosophiques et politiques, sans être forcément tournés vers le côté technique parfois rebutant de la science-fiction.
Dans Les Dépossédés, cinquième tome du cycle de Hain, que l’on peut lire totalement indépendant des autres volumes, Ursula K. Le Guin imagine deux planètes. Ceux qui ont quitté la planète Urras, où le capitalisme était la règle d’or, ont migré sur Anarres. Cette dernière se présente comme une utopie opposée à Urras : la coopération, l’entraide, la liberté des individus font partie des maîtres mots. Pour autant, la vie y est également dure… Le physicien Shevek fait le trajet d’Anarres à Urras afin de partager l’une de ses découvertes scientifiques.
Travaillant au départ sur le format d’une nouvelle, Ursula K. Le Guin réoriente vite son travail. Cette « utopie ambiguë », comme elle la nomme, sera plus foisonnante. Pour son neuvième roman publié, Ursula K. Le Guin continue de se frotter à la politique, d’une part à cause de la guerre du Vietnam dans laquelle s’est embourbé son pays, d’autre part par une série de lectures sur le pacifisme et l’utopie qu’elle effectue à l’époque (Gandhi, Paul Goodman, Pierre Kropotkine). Ces réflexions, sans être lourdement appuyées et démontrées, se retrouvent tout au long de Les Dépossédés, à la fois récit de voyage et récit utopique. De manière inusuelle pour la littérature occidentale, le roman est également marqué par le taoïsme. Comme l’explique David Meulemans dans son éclairante préface : « Le Guin, en lisant ces auteurs anarchistes avec sa culture si particulière, cet outillage mental nourri de taoïsme, trouve en eux les ressources qu’il lui manquait pour penser la guerre, la paix, le gouvernement de soi, l’importance d’échouer et la puissance que recèle toute faiblesse. »
Texte parfois ardue pour son aspect technique (les théories de Shevek y sont développées), Les Dépossédés marque surtout par sa langue et par ses réflexions politiques, loin d’un binarisme réducteur. Un tel roman ne pouvait qu’obtenir les plus prestigieux prix de la littérature de l’imaginaire : le prix Hugo, le prix Jupiter, le prix Locus et le prix Nebula.
« Le Paradis est réservé à ceux qui font le Paradis. Il n’était pas des leurs. Il était un pionnier, appartenant à une race qui avait renié son passé, son histoire. Les colons d’Anarres avaient tourné le dos à l’Ancien Monde ainsi qu’à son passé, n’avaient choisi que le futur. Mais aussi sûrement que le futur devient le passé, le passé devient le futur. Le reniement n’est pas l’accomplissement. Les Odoniens qui avaient quitté Urras avaient eu tort, dans leur courage désespéré, de renier leur histoire, de renoncer à la possibilité du retour. »
Les Dépossédés, Ursula K. Le Guin, Robert Laffont, Ailleurs & Demain, 410 pages, 23,90 €
Visuel : Couverture du livre