Fictions
« L’Eternel retour / Le Monde des amants » de Michel Surya : Roman de la pensée et pensée du roman

« L’Eternel retour / Le Monde des amants » de Michel Surya : Roman de la pensée et pensée du roman

14 September 2022 | PAR Julien Coquet

Romans exigeants, L’Eternel retour et Le Monde des amants, diptyque homogène réuni par les éditions L’Extrême contemporain, se penchent sur la philosophie de Nietzsche et son expérience de pensée d’éternel retour. Tout ça sous la plume de Michel Surya.

En 2006, Michel Surya publie le roman L’Eternel retour. Trois personnages s’y croisent : le narrateur, Boèce, venu rendre visite à son maître à penser, Dagerman, accompagné de sa femme Nina. Au bord de la mer, l’ambiance, entre les deux amis, qu’on sent se connaître de longue date, est quelque peu tendue : deux conceptions s’affrontent. Le roman, en un peu plus de cent pages, déroule les discours deux hommes. Pas d’actions, ou presque, pas de descriptions, ou si peu, pour mieux constituer un roman de la pensée. Car le cœur de l’Eternel retour se situe là, et ce dès la première phrase : « Je cherche à penser, dis-je à Dagerman, je cherche à penser que penser peut décider de tout ».

Boèce, le narrateur, a fui Paris et sa civilisation. Il se réfugie chez ses vieux amis, Dagerman et Nina. Vivre reclus, loin de l’agitation du monde, ne peut que le conduire à penser. Le nœud du débat qui agite les hommes se situe dans la pensée nietzschéenne, et plus spécifiquement dans le concept d’ « éternel retour ». L’éternel retour conduit à tout revivre, sans exception. Et Dagerman et Boèce de s’interroger sur la valeur de cette pensée, celle « d’un homme seul » car « c’est de toutes les pensées les plus belles, la plus belle ; de toutes les pensées les plus nécessaires la plus nécessaire ».

Le deuxième roman (ou bien le premier, tant les deux écrits se nourrissent l’un de l’autre) s’intitule Le Monde des amants. Ici aussi, on a affaire à un roman de pensée, c’est-à-dire un roman où les péripéties ne sont pas des actions, mais des réflexions. Les deux romans commencent d’ailleurs exactement pareil, puis divergent. Le Monde des amants, c’est celui de Nina et de Dagerman, retirés du monde, alors que le narrateur (qui change constamment de pronoms personnels), lui, est seul. Boèce, toujours lui, s’est retiré du monde pour écrire une biographie de Nietzsche. Les réflexions se succèdent (l’amour, la mort, la consolation…), quelques auteurs reviennent inlassablement : Nietzsche, Kafka, Uwe Johnson. Philosophie et littérature ne fond plus qu’une, sous la plume très travaillée de Michel Surya.

« Il était déjà arrivé que l’espace, le grand espace, un espace à ses yeux immense, lui fît peur, l’angoissât. Et il lui avait fallu alors, à chaque fois, en trouver vite un petit, un minuscule même, où il pût se replier, où on ne le vit pas. Un espace pour ne pas voir, plutôt pour qu’on ne le voie pas. Un espace petit qui lui permît d’oublier les grands, dont il s’exceptait soudain, enfermé, rassuré. Il se tenait momentanément à ces limites comme si celles-ci lui permettaient de ne pas se déduire une fois pour toutes de la possibilité que les autres lui offraient, sans pourtant s’y disperser. »

Le Monde des amants / L’Eternel retour, Michel SURYA, L’Extrême contemporain, 514 pages, 26 €

Visuel : Page Facebook de L’Extrême contemporain

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