
“Les hommes tremblent” : Mathieu Lindon interroge l’humanité d’un immeuble
Après s’être penchée sur les derniers jours de Michel Foucault avec Ce qu’aimer veut dire (2011), la belle plume de Mathieu Lindon se fait plus clinique pour frapper là où on ne l’attendait pas forcément : les limites de l’empathie et de la bienpensance. Un roman en huis-clos noir et très original. Sortie en octobre 2014.
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Lorsque deux sans abris Martin et Martine envahissent le hall d’un immeuble où habitent une douzaine de foyers petits-bourgeois, personne n’ose trop rien dire. Il fait froid, c’est l’hiver et on ne peut pas mettre les gens dehors. La concierge essaie d’alerter les autorités, mais la police renvoie habilement vers les service sociaux et vice-versa. Alors que Martin et Martine commentent chaque allée et venue, tremblent souvent mais ne demandent aucune pitié, rendant même parfois des services (pour lesquels ils demandent d’être récompensés, volontiers en ayant le droit d’entrer et commenter les appartements), les habitants de l’immeuble sont paralysés dans un attentisme poli. Tandis que cette expérience résolument désagréable exprime les limites de leur humanisme de parole, les voisins voient le couple de SDF révéler certains points les plus obscurs de chacun de leur foyer…
Subtil mais impitoyable, Mathieu Lindon dépeint par petites touches les velléités d’entraide et les sentiments profonds de rancoeur et d’égoïsme. Personne n’est sympathique dans cette comédie humaine abrupte et dure, surtout pas les deux sans abris, l’adolescent belliqueux qui s’entiche d’eux, l’infirmière sexy mais lâche, ou même le discret et mystérieux locataire noir dont on ose enfin dire qu’il dégage de très mauvaises odeurs… Une monographie aussi violente que passionnante sous une forme à la fois très descriptive et très littéraire.
Mathieu Lindon, Les hommes tremblent, POL, 176 p., 14.90 euros. octobre 2014
visuel : couverture du livre