Essais
“Un peuple paria” : aux origines chrétiennes de l’antisémitisme par Hyam Maccoby

“Un peuple paria” : aux origines chrétiennes de l’antisémitisme par Hyam Maccoby

05 March 2019 | PAR Yaël Hirsch

Traduit par Olivier Bosseau et préfacé par Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, l’essai de 1996 et posthume de l’anthropologue anglais Hyam Maccoby paraît en ce début d’année 2019 aux éditions H&O. Un texte sur l’antisémitisme qui résonne violemment avec l’actualité.

Anthropologue et auteur notamment de L’exécuteur sacré (1982/ traduction en 1999), Hyam Maccoby aborde en 1996 la « question antisémite » par un angle désormais classique : l’antijudaisme chrétien. Après une préface enthousiaste de Gérard Mordillât et Jérome Prieur qui l’avaient rencontré pour intervenir dans Corpus Cristi, l’introduction de Olivier Bosseau nous guide dans les grandes lignes du livre. Comme son titre l’indique, Un peuple paria reprend l’hypothèse de Max Weber dans le Judaïsme ancien : les juifs ont structurellement été mis au ban de la société européenne comme « autre » opératoire. Mais très critique à l’égard du sociologue allemand qu’il accuse d’aller dans le sens de l’idée très répandue que « c’est bien leur faute » si les juifs sont restés séparés de leurs concitoyens, il propose d’utiliser l’anthropologie pour montrer comment cette caste paria fonctionne comme celle des intouchables en Inde. Sauf qu’en Inde, il y a mise au ban sans haine. Le propre de l’antisémitisme qui existe en Occident et en version revue et corrigée en terres musulmanes, c’est la haine. Et selon Maccoby, cette haine a – comme pour Léon Poliakov qu’il ne cite pas – des origines chrétiennes: « C’est une haine interrogeant l’Humanité même des juifs se voyant imprégnée d’une aura dont la présence ou l’évocation peut générer une gêne existentielle, une angoisse métaphysique propre à déchaîner les passions. » (p. 16). Structurellement, l’antisémitisme fonctionne comme la mise au ban des parias hindous ou des intouchables japonais, les baraku: par stigmatisation. Mais selon un thème cher à Maccoby, cette stigmatisation prend un tour particulier dans les premiers temps du christianisme, comme dans l’Islam, qui voudraient que les juifs reconnaissent leur foi et cherchent donc à les « exproprier » (p. 104). Mais notamment après Saint Paul (étude intéressante des lettres aux thessaloniciens, aux Colossians et aux romains) le christianisme joue un rôle particulier dans la gestation de la haine envers les juifs avec la création d’un mythe sacrificiel du Christ avec le peuple juif comme grand exécuteur.

Reprenant les thèses de René Girard sur « la violence et le sacré », Maccoby montre que le peuple juif a alors été érigé en bouc émissaire et conclut que dans ces conditions « La Shoah ne fait aucun mystère » (p. 275).  Malgré ses détours historiques en pointillé (L’on entend à peine parler des juifs allemands, russes et américains et les protocoles des sages de sion reviennent un peu au hasard des pages) et malgré l’omission de certains aspects assez importants comme par exemple le racisme et la psychologisation du 19e siècle, le livre est intéressant : 1/ quand il avance qu’il faut étudier le phénomène dans la durée d’une civilisation et 2/ quand il tente de voir si la recrudescence de la antisémitisme musulman suit le même modèle ou non en y apportant les variables marxistes et anti-sionistes. Sur ce dernier aspect l’on comprend que tant que les juifs sont vraiment parias, les musulmans n’ont pas la même haine que les chrétiens car il n’y a pas de question d’exécuteur, mais que si les juifs deviennent puissants, bien des images chrétiennes peuvent être importées en terre d’Islam. On aurait aimé un peu plus d’explication sur ce dernier point et l’on doit se contenter de « Le mot ‘sioniste’ est devenu un moyen déguisé de dire ‘juif’ et l’ensemble du syndrome anti sémite s’est attaché à ce mot » (p. 296). En 1996 l’on tenait une idée importante, en 2019, il faudrait vraiment suivre cette voie et aller plus loin dans l’enquête …

Hyam Maccoby, Un peuple paria, anthropologie l’antisémitisme, trad. Olivier Bosseau, H&O, 320 p., 23 euros.

visuel : couverture du livre

“La Commission des destins” : retour aux grands rouleaux de l’adolescence
Nicola Alaimo, le récital comme à la maison d’un enfant du pays
Avatar photo
Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration