Essais
Le révolutionnaire et le conservateur : les deux faces de Sieyès par Erwan Sommerer

Le révolutionnaire et le conservateur : les deux faces de Sieyès par Erwan Sommerer

04 August 2013 | PAR Jean-Paul Fourmont

Docteur en science politique et co-responsable du Groupe d’études sieyèsiennes de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Erwan Sommerer enseigne à Sciences Po et au CELSA. Il y a quelques temps, il a publié Sieyès. Le révolutionnaire et le conservateur, clair et passionnant ouvrage paru chez Michalon dans la collection Le Bien Commun.

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Erwan Sommerer, Sieyès. Le révolutionnaire et le conservateurLE RÉVOLUTIONNAIRE
« 1° Qu’est-ce que le Tiers état ? — TOUT.
2° Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? — RIEN.
3° Que demande-t-il ? — À ÊTRE QUELQUE CHOSE ».

La formule est célébrissime, c’est en ces termes que l’abbé Sieyès débutait sa brochure Qu’est-ce que le Tiers état ?, laquelle contribua puissamment à alimenter l’ardeur réformatrice, puis révolutionnaire des députés envoyés aux états généraux de 1789. Sieyès était également l’auteur d’un Essai sur les privilèges ainsi que des Vues sur les moyens d’exécution dont les représentants de la France pourront disposer en 1789. Ce faisant, l’ancien vicaire général de Chartres sortit de l’ombre et devint l’un des théoriciens de la Révolution française les plus éminents, nombre de ses idées et de ses concepts constituant le fondement du droit public français (v. not. R. Carré de Malberg).

Sieyès entendait en effet définir les lignes forces de ce qu’il appelait « l’art social », c’est-à-dire une science de la société et du pouvoir. Ainsi que le rappelle Erwan Sommerer, il s’efforçait de faciliter « la jonction entre la projection théorique d’un système politique idéal – fondé sur la liberté individuelle – et sa concrétisation ». Fondé non pas sur l’accumulation historique et les traditions, mais sur la raison elle-même, cet art social s’apparentait véritablement une « science des principes ».

Les principes du prêtre renvoyaient notamment au contractualisme, à la volonté nationale (qu’il souhaitait déliée de toute consigne provenant des électeurs ou bien des factions), à l’égalité des individus, mais à la distinction entre citoyens actifs et passifs, aux nécessaires limites de la souveraineté, à la différenciation entre le pouvoir constituant et les pouvoirs constitués.

Conscient du potentiel oppressif de la majorité, l’ancien vicaire général de Chartres écrivit que, « dès que nous supposons la volonté étatique divisée en majorité et en minorité, si la majorité qui fait la loi n’a pas de frein, [alors] elle peut devenir tyrannique ou tout au moins despotique envers la minorité ». A cet égard, se montrant singulièrement novateur, l’abbé Sieyès défendit la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité des lois et d’une justice constitutionnelle et politique (assez analogue au litige inter-organes, tel qu’il existe dans la tradition allemande) assurés par le « jury constitutionnaire », institution que les citoyens et les minorités parlementaires notamment auraient pu saisir pour qu’elle accomplisse son salutaire office.

LE CONSERVATEUR
La pensée de l’auteur de la brochure Qu’est-ce que le Tiers état ? était éminemment subversive, elle perturbait les fondements de l’ancien régime et impliquait une véritable « table rase ». Toutefois, comme l’indique Erwan Sommerer, l’abbé Sieyès se fit « de plus en plus conservateur ». Certes il n’y eut pas à proprement parler de « volte-face », mais au moment contestataire succéda une ambition toute autre, empreinte de stabilité et de continuité. Il s’agissait finalement de « terminer la Révolution », d’y mettre un terme en cristallisant définitivement ses acquis. Sieyès devint alors le gardien de l’œuvre si durement établie depuis 1789.

Erwan Sommerer, “Sieyès. Le révolutionnaire et le conservateur”, Michalon, 2011, 128 p., 10 euros.

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Jean-Paul Fourmont
Jean-Paul Fourmont est avocat (DEA de droit des affaires). Il se passionne pour la culture, les livres, les gens et l'humanité. Contact : [email protected]

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