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Vincent Poli :  « Les Journées cinématographiques sont un festival hors normes »

Vincent Poli : « Les Journées cinématographiques sont un festival hors normes »

26 January 2022 | PAR Yaël Hirsch

Du 1er au 12 février 2022, les 22e Journées cinématographiques ont lieu à Saint-Denis autour du thème très actuel « Partie de campagne ». Vincent Poli, directeur du festival, nous parle d’une programmation riche d’une soixantaine de films politiques.

Pourriez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Vincent Poli, je viens de Saint-Denis et fréquente les Journées cinématographiques depuis mon adolescence. Je programme ce festival depuis 3 ans, après y avoir déjà travaillé auparavant. J’ai été programmateur d’autres festivals, notamment à Marseille au FID. Par ailleurs, j’écris, notamment des critiques, et je donne également des cours.

Les Journées cinématographiques ont une programmation très exigeante, comment cela résonne-t-il avec le public de Saint-Denis ?

C’est un festival qui est assez hors normes si on regarde le paysage culturel. Notre position d’exigence culturelle n’est pas toujours facile à tenir, surtout en temps de COVID, mais c’est notre choix : le festival a toujours été très radical et aux antipodes de la simplicité qui semble un peu le mot d’ordre aujourd’hui. Depuis leur première édition il y a 22 ans, les Journées cinématographiques ont toujours eu un angle très politique et très cinéphile. Elles cherchent à explorer l’histoire du cinéma à travers des films portant sur des sujets politiques. L’objectif est vraiment de réfléchir aux questions esthétiques qui les accompagnent. Nous proposons de voir de nombreux films classiques, mais aussi des films rares. Oser projeter des films méconnus se fait « de moins en moins » parce que c’est compliqué. Mais c’est ce parti pris qui m’a beaucoup marqué et séduit quand j’étais jeune, et j’essaie de perpétuer cette tradition.

Cette année, parmi les films peu connus que vous auriez découverts en faisant la programmation ou que vous vous réjouissez de partager, y en a-t-il que vous voudriez citer ?

Dans le cadre de la thématique « Partie de campagne », nous allons notamment montrer des films de Sarah Maldoror, qui a été la première femme cinéaste africaine et qui vivait à Saint-Denis. Elle est malheureusement décédée du COVID l’année dernière. Nous allons projeter trois de ses films en parallèle d’une exposition qui se tient au Palais de Tokyo et au musée de Saint-Denis. C’est une cinéaste que l’on redécouvre aujourd’hui alors qu’à Saint-Denis nous avons montré son cinéma à une époque où elle était « oubliée ».
Je pense aussi aux films de Skip Norman, une séance programmée par Nicole Brenez. Skip Norman est un artiste noir américain qui s’était expatrié en Allemagne dans les années 1960. Il a été un proche de Harun Farocki, et ses films sont malheureusement encore inconnus en France. Ils sont en restauration et devraient être mieux connus en France prochainement. Certains sont en 16mm et donc visibles uniquement en projection.

Votre programmation est réellement internationale… Comment fait-elle des ponts entre les temps et les pays ?

En tant que cinéphile, je m’intéresse aux films du monde entier et j’ai envie de les montrer. Cette volonté peut se heurter aux réalités matérielles. Pour cette programmation, j’ai craint de proposer un trop grand nombre de films français ou américains, notamment parce que pour certains pays, notamment du continent africain ou d’Asie, il y a des questions de droits ou de copies accessibles. Mais in fine, il y des films japonais hongkongais ou italiens, les films de Maldoror, et le réalisateur américain Dan Sallitt vient au festival. C’est un cinéaste totalement indépendant et culte dans le paysage du cinéma indépendant américain. Il réalise des films magnifiques et totalement autoproduit depuis 35 ans. Il s’agit de sa première rétrospective en Europe, ce qui lui permet aussi d’être vu à Marseille, la Roche-sur-Yon et Paris. Deux pages lui seront consacrées dans Les Cahiers du cinéma.

Les lignes sont-elles floues entre documentaire et fiction ?

Même si cela peut déplaire aux fans de documentaire, je suis assez partisan de dépasser les frontières, ne serait-ce que par désir d’explorer les mythologies de la fiction. Nous avions envie avant tout d’interroger les mythes politiques par les films. Lincoln chez John Ford, par exemple, avec la manière dont cela questionne les valeurs américaines. Nous ne voulons pas montrer uniquement des films militants. Je voulais qu’un documentaire sur un squat puisse se confronter à une grosse production américaine qui met en scène le président des États-Unis. Ainsi, le festival présente beaucoup de documentaires, mais également des films qui jouent sur la brèche entre les deux. Par exemple, Municipale, film présenté à l’ACID à Cannes l’année dernière, est un documentaire qui joue sur la fiction avec un acteur qui s’engage comme candidat aux municipales. Et il le dit qu’il est un acteur payé pour jouer un rôle et non un homme politique. Voilà un documentaire qui joue sur la puissance de la fiction, sans vouloir piéger qui que ce soit… C’est un geste fort et c’est un film que j’avais vraiment envie de montrer.

La thématique « Partie de campagne » se concentre-t-elle vraiment sur la conquête du pouvoir ? Ou voit-on aussi son exercice ?

Juste la conquête, cela aurait été un peu dur à traiter. Le thème n’est devenu une évidence qu’une fois que nous l’avons trouvé. Nous voulions prendre le contre-pied de l’hystérie médiatique, en prenant le temps de confronter les formes. Il s’agit de voir comment est mis en scène ce pouvoir.
Dans l’absolu, dans le monde il n’y a pas tant de régimes présidentiels comme la France, quand on y réfléchit.

Quels sont les grands classiques de cette programmation ?

Il y a le John Ford, le Renoir, La Fleur du mal de Chabrol, le film d’Éric Rohmer. En enquêtant, on se rend compte qu’il y a peu de films qui parlent frontalement de l’exercice du pouvoir, sauf dans le cinéma italien qui est très riche sur la thématique, notamment Francesco Rosi dont nous projetons trois films, qui sont des films classiques importants à revoir. Il a une façon exigeante presque sévère de traiter le monde politique. Ce sont des sujets tellement énormes qu’on a peur de s’y frotter : les collusions entre la Mafia et les ministres par exemple. Les films de Rosi nous montrent qu’il y a une voie à suivre. Ce sont de grands classiques.

Pouvez-vous nous parler du focus sur le cinéma de Thierry de Peretti dont un des films est programmé en ouverture ?

C’est intéressant parce que Thierry de Peretti se réclame de Francesco Rosi… Dans son nouveau et probablement son meilleur film Enquête sur un scandale d’État, il réfléchit sur la manière de représenter ce qu’on ne peut pas représenter. En l’occurrence, le film parle d’un trafic de drogue organisé par l’État. Comment filmer un tel sujet sans faire des portraits de grands méchants et de gentils journalistes qui vont sauver le monde ? Le film est basé sur une ambiguïté permanente des caractères, qui évite tout ce qu’on attend d’un film de voyous : il n’y a ni flingue, ni drogue, ni argent facile. Ces choix sont très conscients de la part du réalisateur. Ce qui l’intéresse, c’est la violence. Et en même temps, il veut contrecarrer le pouvoir de séduction de cette violence. Cela donne finalement lieu à un cinéma assez retors où Thierry de Peretti essaie de contrecarrer ce qui le fascine. Comment parler d’une chose sans tomber dans les clichés ? Le titre est joueur, puisque le film est une enquête, mais le scandale n’advient jamais. C’est aussi un film sur les médias : il est tourné dans les bureaux de Libération et les acteurs se mêlent aux vrais journalistes.

Le festival propose également des ciné-concerts…

On a deux ciné-concerts. L’un est axé jeune public et n’est donc pas dans le thème. Il porte sur des films d’Alice Guy, une cinéaste française totalement oubliée des premiers temps du cinéma. Aujourd’hui on la redécouvre un petit peu, notamment grâce à un documentaire diffusé l’année dernière qui montre à quel point elle a été importante dans l’histoire naissante du cinéma puis mise de côté par la suite. Le dimanche, il y a un ciné-concert sur L’Homme à la caméra de Dziga Vertov, un gros classique qui est un film de propagande, même s’il la détourne. Il est mis en musique par Chocolat Billy, un super groupe bordelais de rock. Ce n’est pas un groupe qui a l’habitude de faire des ciné-concerts. Il y a également un ciné-popcorn, organisé avec les Maisons de quartier de la ville de Saint-Denis, qui ont choisi le film parmi une présélection.

Dans la présentation du programme, vous parlez d’un rejet de la politique qui peut être problématique aujourd’hui. En quoi le cinéma est-il encore une bonne école pour être citoyen ?

Le cinéma est une fenêtre ouverte sur le monde, à condition d’aimer la fiction et d’accepter que la fiction raconte des histoires. Le cinéma, c’est aussi l’un des rares endroits aujourd’hui où l’on prend le temps. On reste dans une salle où l’on se tait et où l’on regarde. Contrairement à la télévision, au cinéma il y a un temps de réflexion long et l’on est moins harcelé par les images. Le cinéma propose des récits politiques exemplaires et bouleversants.

visuel (c) DR

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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