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Interview, Kim Nguyen parle de Rebelle, l’enfant sorcière

Interview, Kim Nguyen parle de Rebelle, l’enfant sorcière

19 November 2012 | PAR Hassina Mechaï

Une fable allégorique…ce sont les premiers mots qui viennent à l’esprit à la vue de Rebelle, le quatrième film du réalisateur canadien Kim Nguyen. Il met en scène la toute jeune Rachel Mwanza qui interprète avec une justesse sidérante Komona, enrôlée de force dans un groupe de rebelles. Ceux-ci finiront vite par voir en elle une sorcière dont la supposée clairvoyance doit leur assurer les victoires sur les forces gouvernementales. Dans un long flash-back , Komona raconte à l’enfant qu’elle porte sa vie quotidienne faite de combats contre les soldats et de luttes pour survivre. Elle narre aussi ses fragiles amours d’adolescente avec le Magicien (extraordinaire Serge Kanyinda), rebelle albinos qui l’a prise sous son aile. Rachel Mwanza y déploie un talent fébrile, brut, qui lui a valu l’Ours d’argent de la meilleure actrice à Berlin. Par une après-midi parisienne, rencontre avec le réalisateur Kim Nguyen et Rachel Mwanza. Rachel, qu’une mauvaise grippe et des débuts balbutiants en français paralyseront, parlera peu. Elle nous expliquera gravement avoir laissé remonter ses souvenirs d’enfant des rues de Kinshasa pour exprimer toute la tristesse intérieure de son personnage. Elle s’étonnera aussi, du haut de ses 15 ans déjà trop remplis, de l’engouement suscité par son succès international dans son propre pays, la République démocratique du Congo. Mais Kim Nguyen se pliera de bonne grâce aux jeux de nos questions pour ce film qui n’en finit pas d’accumuler les récompenses internationales méritées.

Pour lire notre critique du film à Berlin, c’est ici.

Comment est né ce film ?

Kim Nguyen : Un ensemble de faits avaient retenu mon attention, notamment l’histoire d’un enfant soldat birman, Johnny Htoo, qui à l’âge de 9 ans a déclaré être la réincarnation de Dieu ; il a amené toute une armée de rebelles à faire la guerre. D’une façon totalement égoïste j’ai d’abord senti la puissance de narration que recelait une telle histoire. J’ai pensé trouver là une espèce de tragédie grecque dans notre modernité. J’ai effectué beaucoup de recherches pendant plusieurs années ce qui m’a amené à aller en Afrique subsaharienne, au Burundi notamment. Et là encore j’ai trouvé ces mêmes paradoxes de la réalité et du mythe qui étaient comme superposés.

Comment avez-vous choisi vos acteurs, Rachel notamment ?

KN. On a fait un casting sauvage. Et il y avait quelque chose d’évident : il y avait une vraie dichotomie entre les gens qui habitent quelque part et les gens qui ne venaient de nulle part et qui habitent dans la rue. Plusieurs d’entre eux, ceux qui n’étaient pas brisés, avaient une capacité naturelle de jouer qui était hallucinante ; une capacité de meubler le silence, comme un peu ces acteurs de l’Actor’s studio dans les années 70, une présence absolue. Mais on a fait aussi un travail spécifique : ne pas faire lire le scénario aux comédiens et de tourner en chronologie. Le but était de préserver cette capacité d’être surpris et entier. La méthode de Cassavetes notamment dans son film Femme sous influence m’a aidé à diriger les acteurs. Je ne voulais pas qu’ils soient dans l’analyse de leur personnage : il fallait juste être dans le moment présent. On atteint une vérité en laissant les choses se faire devant la caméra dans un chaos constructeur.

Comment avez-vous construit le scénario et le personnage de Komona notamment ?

KN. L’écriture s’est poursuivie jusqu’au montage. Mais tout est parti des monologues intérieurs. Komona, que joue Rachel, est née de cette voix intérieure audible. J’ai découvert que les enfants soldats ont un mécanisme de défense commun qui est le silence : ils se ferment et se taisent. Et on les force à verser leurs larmes de l’intérieur. C’est d’ailleurs la première arme du personnage que ce silence et ces larmes intérieures. Cela aurait été démagogique d’imposer un scénario qui n’aurait pas été crédible, sans ce silence habité. J’ai choisi de la faire parler par ce monologue inaudible pour les autres.

Et c’est une voix féminine qui s’est imposée à votre esprit ?

Ce n’était pas prévu que ce soit forcément une jeune fille. Au début c’était une voix qui était presque androgyne, une âme adolescente sans genre précis. Mais cette voix intérieure est devenue une femme au fil de mes recherches. Et cette voix s’adresse à l’enfant qu’elle porte…

Pourquoi avoir transposé le film en République démocratique du Congo ?

Lors des recherches préliminaires, le Congo nous a bouleversés par sa richesse visuelle et par les symboles paradoxaux qui s’offraient à nous, la réalité qui nous frappait par sa beauté et sa cruauté. Le lien avec la magie dans ce pays est très fort, les enfants sorciers est un phénomène très présent dans la société congolaise. Cela nous a vite paru évident.

Quelles ont été les difficultés rencontrées sur place ?

Cela a été un tournage rempli d’ironie et de défis…mais ça fait partie du bonheur d’avoir fait ce film. Même si à quelques reprises on a eu chaud je l’avoue car même si nous ne tournions pas dans une zone de guerre, il y a des endroits où cela était dangereux. La relation avec les autorités congolaises étaient complexes aussi. On vient juste de montrer le film au sommet de la Francophonie de Kinshasa ; Mais juste avant, on avait planifié huit projections en régions que les autorités avaient au début interdites ; mais finalement elles viennent d’être autorisées après la projection officielle à Kinshasa.

Est-ce que c’est dû au fait que votre film même s’il ne traite pas du sujet fait comme écho à la rébellion du nord Kivu ?

Absolument. Pourtant c’était un choix initial de ne jamais nommer le pays dans lequel l’histoire se déroule et d’en faire un pays fictif. Mais on le devine, car l’âme du Congo s’est imprégnée dans la pellicule de Rebelle. Je ne voulais poser aucun jugement politique dans ce film, je voulais simplement présenter des faits. Partir de la vie de ces enfants pris dans des questions qui les dépassent. Et laisser les gens se faire leur propre opinion…

Vous faites cependant référence dans le film à deux faits : le trafic de coltan qui nourrit la rébellion et le rôle de la sorcellerie dans ces groupes rebelles.

C’est une des rares choses en Afrique que je ne suis pas parvenu à comprendre : je n’arrive pas à m’imprégner de cette relation entre magie, réalité et argent. J’ai essayé de ne pas juger et de le présenter comme les gens me le disent. C’est tellement différent de nos croyances à nous, même si en Occident on croit à des choses qui en Afrique peuvent sembler tout aussi étrange. La vie éternelle par exemple en achetant des crèmes ou des parfums….En ce qui concerne le coltan, au sommet de la francophonie on a participé à quelques tables rondes sur le sujet et on a vite senti que cela reste très tabou car le trafic de coltan a beaucoup d’implications politiques. Les gens ont peur de nommer les choses par sécurité. Mais on comprend bien que le nerf des guerres autour des grands lacs, c’est l’exploitation des ressources minières.

Rebelle (war witch) de KIm Nguyen, avec Rachel Mwanza, Alain Bastien, Serge Kanyinda, Ralph Prosper, Mizinga Mwinga, Canada, 2012, 90 min, sortie nationale le 28 novembre.

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